De Mozart à Lady Gaga en passant par Brel, le retour en force de la chorale


La nuit est tombée sur le XVe arrondissement de Paris et alors que le centre Saint-Charles, annexe de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne est peu à peu déserté par ses étudiants, des petits groupes attendent patiemment que l’ascenseur arrive. Direction le 5e étage où ont lieu, tous les mercredis à 19 heures, les séances de répétition du chœur de Paris 1. Après une quinzaine de minutes d’échauffement vocal, le groupe, d’une trentaine de personnes, s’installe en arc de cercle autour de Quentin Lafarge, qui remplace exceptionnellement Guilhem Terrail, le chef de chœur avec qui ils ont l’habitude de répéter.

Entre leurs mains, la partition de la Messe en ut mineur de Mozart, petit bijou classique qu’ils interpréteront lors de deux représentations prévues les 9 et 11 juin, en l’église Saint-Étienne-du-Mont, en plein cœur du quartier latin. « Pour la première fois, nous serons accompagnés d’un orchestre de 37 instruments, je pense que nous allons avoir l’impression de décoller du sol », se réjouit d’avance Frédérique, présidente de l’association du Chœur de Paris 1 et membre de la chorale.

« Quand on reprend un compositeur aussi connu, on se dit qu’on n’a pas le droit à l’erreur. Et ce n’est pas non plus toutes les semaines qu’on a l’occasion d’être accompagné par un tel orchestre, alors évidemment, c’est un beau challenge », complète Clément, étudiant en première année d’histoire et nouvelle recrue de la chorale en tant que ténor.

« C’est valorisant de chanter dans son université »

Alors ils répètent en suivant méthodiquement les conseils de l’assistant chef de chœur qui prend le temps de régler chaque difficulté, avec sérieux mais non sans une pointe d’humour. « Ne chantez pas ça comme si vous étiez puni ! » glisse-t-il dans un sourire, avant de demander aux sopranos de reprendre, seules, le passage de partition étudié. Anna fait partie de celles-ci. Elle est en deuxième année de double licence droit et histoire et chante dans le chœur depuis deux ans. « Quand je viens aux répétitions, j’ai l’impression de retrouver une sorte de famille, c’est comme un câlin, ça englobe », raconte la jeune femme qui chante depuis toute petite.

« C’est un cadre beaucoup moins formel que celui que j’ai connu au conservatoire, et puis surtout c’est valorisant de chanter dans son université. » Mais n’est-ce pas trop difficile de progresser individuellement lorsque l’on chante dans un grand groupe, sans être noyé dans la masse de choristes plus ou moins confirmés ? « Au contraire, j’ai l’impression de progresser davantage. On reprend par pupitre, et puis le temps qu’on passe à écouter les autres nous permet de nous poser des questions sur notre propre pratique », analyse Anna.

« Chanter en public me donne confiance en moi »

Maïssa, 17 ans, et Keyliane 16 ans, font toutes les deux partie du Jeune chœur de l’Oise, dirigé par Valéry Thuet, au conservatoire de Creil. Leur parcours est similaire : elles ont rejoint en sixième la filière CHAM (classe à horaires aménagés musique) du collège Jules-Michelet où elles ont découvert le chant choral au chœur C4. Une pratique qu’elles ont poursuivie une fois entrées au lycée, sauf que désormais les répétitions ont lieu le soir, les jeudis et vendredis après les cours.

« Ça oblige à s’organiser, à mieux gérer son temps. On est plus responsable et c’est un sacré avantage », explique Keyliane. Côté musique, son truc, c’est plus le rap américain, pas tout à fait adapté à la chorale. Pour autant, Valéry Thuet ne propose pas que du classique ou de la variété française à ses choristes. En tournée, le chœur présente des chansons allant de Jacques Brel à Lady Gaga, en passant par de la musique du monde « Creil est une ville où se mélangent 106 nationalités, alors on étudie des chants en wolof, en chilien ou encore des prières musulmanes ou des hymnes du judaïsme », indique Valéry Thuet. « Pour la petite anecdote, apprendre des chansons en anglais depuis des années, m’a permis d’accroître mes capacités et d’améliorer mon accent », glisse Maïssa.

Mais ce n’est pas le seul avantage de la chorale. Elle offre aux jeunes qui la pratiquent, une multitude de cordes à leur arc dans leur vie quotidienne, loin des pupitres. « Chanter en public me donne confiance en moi. Lorsque je fais des exposés ou lors du bac de français l’an dernier, je ne suis pas anxieuse à l’idée de prendre la parole devant un jury ou une classe », raconte Maïssa, qui aimerait d’ailleurs faire du chant son métier. Keyliane a elle pu travailler sa sociabilité, « ça m’a vraiment ouvert l’esprit, ça me permet d’aller plus vers les autres et d’aimer les moments passés en communauté. »

Anna, la choriste de Paris 1 loue quant à elle le pouvoir apaisant du chant « la chorale permet de décompresser, de déstresser, ça joue beaucoup sur le moral. » Selon les retours de Valéry Thuet qui doit sélectionner chaque année une poignée d’élèves seulement pour rejoindre le Jeune chœur de l’Oise et Frédérique Boursicot, la présidente de l’association du Chœur de Paris 1, les demandes pour prendre part aux chorales affluent. « Il y a un peu plus d’inscriptions chaque année et surtout les jeunes restent dans le chœur même après avoir fini leurs études », se réjouit la présidente.

Militer en chantant

La chorale peut aussi être un moyen de faire entendre sa voix, au sens propre comme au figuré. Faire passer des messages, porter aux oreilles du plus grand nombre des voix souvent tues ou à qui la société ne donne pas un espace d’expression suffisant. Chorales féministes, afros féministes ou queer essaiment en France depuis quelques années. À l’instar de Hot Bodies of the Future, un label de disques et une maison de production fondée en 2019 par Gérald Kurdian, musicienne et performeuse. Un projet qui s’est ensuite étendu à la chorale, dénommée Hot Bodies Choir, consécutivement à la rencontre de Chloé Rémy au FGO-Barbara, un centre musical situé dans le XVIIIe arrondissement de Paris qui a hébergé des ateliers animés par Gérald.

« Notre idée était de s’interroger sur la manière dont les corps minorisés se servent de la musique et des pratiques musicales pour pousser leur évolution », raconte l’artiste « Mais aussi ce que cela veut dire d’utiliser sa voix ou de porter la voix d’un groupe. » Adèle, 18 ans, a rejoint la chorale, désormais autogérée, cette année. C’est lors d’un passage au T2G, le théâtre de Gennevilliers qu’elle entend parler d’un workshop de chorale féministe. « Je n’en avais jamais entendu parler avant, je ne savais pas du tout que ça existait », explique la jeune femme étudiante en humanités et arts du spectacle à l’Université Paris Nanterre.

« Dans cette chorale, il y a un aspect très égalitaire, très ouvert, où toutes les paroles sont considérées comme importantes. Je m’y sens à l’aise, écoutée, dans un environnement safe. » Leur répertoire ? Des textes de militantisme féministe, queer ou décolonial, qui sont ensuite discutés en ateliers et dont naissent, à la suite de ces conversations, de nouveaux textes, mis en chansons. « C’est un moyen de s’exprimer de manière pacifiste mais militante, de faire passer nos valeurs. Et puis c’est aussi un bon moyen de prendre le contre-pied du milieu du chant qui est malgré tout assez patriarcal. »



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