Hérault. Irrigation : “Notre projet n’a rien à voir avec les supers bassines”


Le niveau d'eau est bas à certains endroits.

Les projets de « super bassines » font des vagues, et les récents évènements de Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres, cristallisent la défiance citoyenne envers ces projets dévoreurs d’eau (la précieuse ressource est pompée directement dans les nappes phréatiques) portés par l’agriculture intensive.

Bien que différent, le projet du Département de l’Hérault,  acté le 14 février 2023 avec la création de neuf retenues hivernales dans le cadre de son « Plan Irrigation », fera-t-il des vagues ?

« Pas d’amalgame avec les super-bassines »

Dès avril 2019, Métropolitain révélait le projet de « retenues collinaires » du Département, des bassins géants qui devaient capter les eaux de pluie. Depuis, le projet a évolué : les fameuses retenues collinaires sont devenues « hivernales » et ne se contenteront pas de capter l’eau tombée du ciel. Elles seront surtout alimentées par des prélèvements dans les fleuves, le Rhône, l’Hérault et l’Orb.

Au final, le projet héraultais, qui prévoit la construction de neufs bassins allant de 170 000 m3 pour le plus petit à 2 050 000 m3 pour le plus gros, risque de faire des remous…

La retenue hivernale de Pouzolles contiendra 460 000 m3 sur 15 ha
La retenue hivernale de Pouzolles contiendra 460 000 m3 sur 15 ha (©Département de l’Hérault)

Pourtant, Yvon Pellet, Vice-président du Département délégué à l’économie agricole et à l’aménagement rural, cadre très vite les débats : « Nous n’allons pas construire de super-bassines, notre projet est très différent de ce qui a été fait à Sainte Soline et ailleurs », assure-t-il, « notre priorité : ne pas prélever dans la nappe phréatique et ne pas détourner nos rivières et nos ruisseaux».

Pour irriguer les petites exploitations

L’élu, redoutant les amalgames, assure que les retenues hivernales qui visent à retenir 6,5 millions de m3 d’eau pour irriguer près de 6000 hectares de cultures (dont 84% de vignes et 10,7% de fourrages) n’impacteront pas la ressource naturelle.

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« En effet, nous ne pomperons pas d’eau dans les nappes phréatiques, c’est absolument hors de question. Ces retenues seront alimentées par les orages et par l’eau du Rhône -via le réseau BRL – et de l’Orb, mais uniquement en hiver lorsqu’ils seront au plus haut ».

Yvon PelletVice-président du Département de l’Hérault
L'élu départemental Yvon Pellet ne veut pas d'amalgame avec les supers-bassines : le projet héraultais ne prévoit pas de pompage dans les nappes phréatiques
L’élu départemental Yvon Pellet ne veut pas d’amalgame avec les « super bassines » : le projet héraultais ne prévoit pas de pompage dans les nappes phréatiques (©Philippe Hilaire)

Ensuite, l’élu précise que ces bassins géants ne serviront pas à l’agriculture intensive mais uniquement aux petites exploitations qui maillent le territoire. « C’est un choix fort de la collectivité : si nous n’amenons pas l’eau au cœur des terroirs, toutes ces exploitations vont crever. Ce n’est pas envisageable », argumente Yvon Pellet qui assure également que ces bassins ne capteront pas les eaux de ruissèlement : « Nos retenues ne sont pas connectées aux ruisseaux et aux rivières, il n’y aura pas d’interruption des cycles naturels de recharge ».

Les 9 basins prévus par le département de l’Hérault :
Fontes (936 000 m3 sur 12 hectares), Tressan/Puilacher (2 050 000 m3 sur 70 ha), Florensac (950 000 m3 sur 19 ha), Pouzolles (460 000 m3 sur 15 ha), Coulobres (610 000 m3 sur 23 ha), Malagas (960 000 m3 sur 24 ha), Caussiniojouls (170 000 m2, 4 ha), Villespassans (440 000 m3 sur 14 ha) et la Caunette (450 000 m3 sur 7 ha).

Des millions de m3 puisés dans les fleuves

Il n’empêche, la construction de ces retenues collinaires interroge sur l’impact environnemental d’un tel projet. Capter les eaux du Rhône ne semble pas si grave. Pourtant, une étude de l’Agence de l’Eau confirme que le débit estival du Rhône a baissé de 7 % entre 1960 et 2020 à la sortie du lac Léman, et de 13% en Camargue… et cette baisse devrait à terme dépasser les 20%. Pour les associations écologistes, continuer à prélever massivement dans le milieu naturel n’est pas tenable, et encore moins dans l’Orb ou l’Hérault, les cours d’eau héraultais étant déjà en situation déficitaire chaque année, dont un manque de 7 millions de m3 par an pour le seul fleuve Hérault.


Quel impact sur l’environnement ?

Il faudra aussi faire des travaux pour créer les trois premières retenues hivernales : Florensac, Coulobres/Pouzolles et Magalas. « Les six autres projets sont encore dans les cartons et nous ne les avons pas encore ouverts », précise Yvon Pellet. Mais avec ces trois premiers projets, le Département aura de toute façon fort à faire : pour la retenue de Florensac, il faudra creuser mais aussi ériger des digues de 13 mètres de haut sur des terrains escarpés ; elles feront 4 mètres à Coulobres et culmineront à 12 mètres à Magalas.

A Florensac, le Département prévoit un bassin de 950 000 m3 qui s'étalera sur 19 ha
A Florensac, le Département prévoit un bassin de 950 000 m3 qui s’étalera sur 19 ha (©Département de l’Hérault)

“Notre projet n’a rien à voir avec les supers bassines. Nous travaillons avec tout le monde : ma porte reste ouverte, je suis ouvert à la discussion”

Yvon PelletDépartement de l’Hérault

Au final, la mise en place de ces retenues impactera-elle le milieu naturel ? « Non », répond Yvon Pellet : « Les travaux auront un impact provisoire. Je précise que nous ne bétonnerons pas : ces retenues seront ce qui se rapproche le plus de la nature avec, par exemple, un fond en argile. Il n’y aura pas d’impact destructeur sur le milieu ».

Pourtant, dans le dossier du Département, on peut lire, dans la colonne « Précautions environnementales et règlementaires » qu’il faudra selon les sites prévoir un « déboisement », « des cours d’eau biologiques à déclasser  » (dont Pouzolles) et « des cours d’eau biologiques à déclasser, zone Natura 2000″ sur deux sites (La Caunette et Villespassans).

Les associations dans l’attente des études 

Pour l’heure, les association environnementales qui suivent le dossier, comme la FNE-Languedoc-Roussillon, ne se prononcent pas, attendant les études d’impact que doit mener l’Etat sur le milieu de chaque projet avant de se prononcer.

De son côté, Yvon Pellet balaie le risque d’atteinte à la nature : « Non, nous ne déclasserons rien, de toute façon la loi l’interdirait… Je précise que nous faisons tout pour que ces retenues soient le moins impactantes possibles. Elles auront aussi un rôle positif  puisqu’elles serviront de réserve d’eau en cas d’incendie, et nous œuvrons avec des structures spécialisées pour que ces retenues servent aussi à la faune et à la flore en créant de véritables espaces humides propices à la biodiversité ».  

Dans l’Hérault, les opposants s’organisent

Le 20 mars dernier, le collectif « Changeons le Système Pas le Climat » a organisé un débat à la Carmagnole avec la Confédération Paysanne et Attac France sur le thème « La guerre de l’eau : pas une bassine de plus ». Un représentant du collectif de lutte de Sainte Soline était aussi présent. Dans l’Hérault, un collectif pourrait aussi se créer pour s’opposer au projet des retenues hivernales du Département.
« Nous devons surveiller ce projet qui prévoit de capter de l’eau dans le Rhône, l’Hérault et l’Orb alors que ceux-ci sont déjà victimes de la sécheresse et qu’ils restent bas même en hiver”, expliquaient les militants associatifs qui s’interrogent : si, comme cet hiver, il n’y a pas de pluie et pas de crues dans l’Orb et l’Hérault, le Département se résignera-t-il à laisser les bassines vides ? Ou sera-t-il tenté de les remplir quand même en puisant dans les fleuves ?
Les associations tranchent : “Ces retenues collinaires sont déjà dépassés, elles relèvent d’une agriculture d’une autre époque. La priorité aujourd’hui est plutôt de revoir les modèles de notre agriculture”. Le message est lancé : “S’il faut s’organiser contre ces projets, nous nous inspirerons des modèles de lutte créés à Sainte Soline”.

Une concertation en cours

Dans un soucis d’éviter tout débordement, une concertation a été enclenchée avec l’ensemble des acteurs concernés par les enjeux techniques, économiques, environnementaux du projet :

– les communes : à ce stade, 6 communes concernées par l’emprise et 15 communes concernées par le recensement en besoin ;
– les institutions : SDIS, DDTM, Office Français de biodiversité, DREAL, Agence de l’eau Rhône méditerranée, Région ;
– les professionnels : les agriculteurs et leurs groupements : Chambre d’agriculture, coop de France, Fédération des vignerons indépendants, syndicats de cru ;
– les associations environnementales et de consommateurs.

Les associations feront-elles barrage ?

Le Département veut soutenir agriculteurs et viticulteurs en circuits courts face au changement climatique en apportant l’eau sur tout le territoire, mais ces constructions en pleine nature ne sont pas du goût de tout le monde. Les associations feront-elles barrage ? Le Département est conscient que ce sujet risque de provoquer des situations délicates, et la collectivité ne veut pas de conflit et encore moins d’une ZAD : « Je sais que le lundi 20 mars dernier, des associations ont discuté de ce projet à Montpellier avec des représentants des collectifs de Sainte Soline, mais notre projet n’a rien à voir avec les super-bassines. Nous travaillons avec tout le monde : ma porte reste ouverte, je suis ouvert à la discussion. Dans ce projet, nous sommes transparents ». Comme de l’eau ?   

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