« Je sortais des cours, je pleurais » : formation, classes surchargées… pourquoi ces jeunes profs ont jeté l’éponge


Surcharge des classes, formation sur le tas, mauvaises expériences avec les collègues, s’ils restent peu nombreux au regard des effectifs globaux, le nombre d’enseignants qui démissionnent augmente depuis 2008. En 2021, derniers chiffres disponibles, ils étaient 2 400 à quitter l’Éducation nationale. Particularité, avant introduction de la rupture conventionnelle en 2020 pour les enseignants, entre 2013 et 2019, les profs qui quittent la profession en majorité étaient les jeunes stagiaires.

Ilona a 24 ans. Depuis l’enfance, « prof des écoles, c’était dans un coin de ma tête, pas un rêve ultime, mais une vocation oui ». Pourtant, dès la première année de master MEEF, elle déchante. Notamment car elle comprend rapidement qu’elle ne disposera pas de programme ou de leçon à transmettre aux élèves. « On va leur parler de nouvelles modes, mais on ne leur donnera pas de recettes, sous prétexte de liberté pédagogique », note Sandrine Garcia, autrice de « Enseignants : de la vocation au désenchantement ».

« Personne ne nous apprend concrètement le métier d’enseignant »

Un constat que partage aussi Maya dès son arrivée en formation. Après une licence LLCE d’anglais, l’enseignement l’attire, et elle se lance… avant de jeter l’éponge, pendant mon stage en M2 MEEF anglais qu’elle effectue dans un lycée. « Je pensais pouvoir transmettre mes connaissances, Mais en première année, personne ne nous apprend concrètement le métier d’enseignant, confie-t-elle. On nous donne de la théorie, on nous explique qu’il faut suivre les programmes de l’éducation nationale. On nous apprend vaguement à créer des séquences et l’ordre qu’elles doivent suivre. »

Une réforme en 2019 tente d’enrayer le phénomène. Elle a fait passer le concours entre le M1 et le M2 à la fin du M2 et a, notamment, imposé que parmi les enseignants dans les Instituts Nationaux Supérieurs du Professorat et de l’Éducation (Inspé), 33 % soient en activité professionnelle. Côté ministère de l’Éducation nationale, une concertation a été lancée mi septembre pour discuter de la formation initiale, du déroulement de carrière et des conditions de travail.

« On a aussi développé la prise en compte du terrain et l’importance d’y être avec la création du Parcours préparatoire au professorat des écoles », précise l’entourage de la ministre de l’Enseignement supérieur, Sylvie Retailleau : « On réfléchit pour ajouter davantage de professionnalisation dans la formation des enseignants. Mais deux ans de formation ne leur livrent pas un cours clé en main, ce sera leur futur travail. Quand ils sont nommés, leur première mission c’est de prendre complètement la main sur leur cours, avec la méthode dont ils disposent pour le construire. »

Sous l’eau

C’est ce que fait Maya. Mais très vite, elle se sent débordée. Le soir, elle travaille pour faire mieux le lendemain, mais n’arrive plus à suivre entre la préparation des cours et les devoirs pour la fac. S’ajoute la rédaction de son mémoire de recherche, mais sous l’eau, elle ne parvient pas à y consacrer le temps nécessaire. « Après les vacances de la Toussaint, je me suis effondrée. Je pleurais avant d’aller au lycée ou en cours et après aussi. C’est devenu intenable. Et pourtant j’aimais mes élèves. Mais je ne parvenais pas à leur donner le meilleur. »

Elle abandonne au retour des vacances de Noël. Un échec que la jeune femme voit aujourd’hui comme du courage : « Renoncer à ce métier, c’est difficile à cause de l’investissement que ça représente, mais ça démontre une force. C’est courageux d’abandonner un rêve s’il se transforme en cauchemar. »

Si le passage de la théorie à la pratique est difficile, le niveau exigé peut aussi poser problème. Ilona, qui se destinait à être institutrice, s’est rapidement rendu compte que les niveaux de maths et de français ne sont pas ceux qu’elle avait imaginés. « Il y a un gros décalage entre ce qu’on attend de nous et qu’on ne demandera jamais à des enfants de cm2 », souligne la jeune femme.

« Je faisais de mon mieux, mais c’était impossible d’être inclusif avec tout le monde »

Ambiance de la classe de master, mentalité de concours dès la première année, pas de cohésion de groupe ni de compassion pour la jeune femme qui revient d’un cancer et souffre de fatigue chronique, le bilan est amer. Il ne cessera de s’alourdir avec les stages. À tel point qu’Ilona finira par démissionner, elle aussi.

« Ce n’était pas un problème avec les enfants, mais l’environnement de travail que j’ai trouvé néfaste, nocif. Une promo de femmes, à se tirer sans arrêt dans les pattes, avec des classes surchargées de presque 35 en maternelle et en primaire. Et des enfants en difficulté que nous ne sommes pas formés à accompagner. »

En effet, depuis 2005, la loi sur le handicap « rend possible la scolarisation des enfants souffrant de handicap en école ordinaire pour tout parent qui le demande », précise Sandrine Garcia. Si elle a été bénéfique pour les enfants, elle a rendu difficile le quotidien de certains enseignants : « Des aides sont mises en place, mais les emplois sont précaires, mal payés, le recrutement difficile et l’octroi des aides parfois décalé du besoin. Un enfant pourra venir à l’école, même si l’aide n’est pas déclenchée. »

En 2021, ils étaient 214 000 élèves souffrant de handicap scolarisés en primaire. « Tout le monde est spontanément pour, d’un point de vue humaniste, car il n’y a plus d’exclusion, mais les enseignants peuvent être en situation de devoir canaliser un élève pendant que le reste de la classe est présent et ce sont deux missions incompatibles », précise Sandrine Garcia.

Des conditions de travail difficiles qui ne sont pas réservées aux seuls masters MEEF, puisque les contractuels peuvent aussi découvrir la réalité aussi abruptement. Haly, qui a voulu se tester en étant contractuelle avant de tenter le concours, a passé un an dans une académie, six mois dans une autre et enfin six mois dans la dernière. Si la première année, elle s’implique beaucoup, elle arrive épuisée à la rentrée qui suit. À la fatigue des cours s’ajoutent les longs trajets entre les établissements et la petite chambre qu’elle loue à l’époque. Elle finit par craquer et son médecin l’arrête.

« J’avais des classes de 35 élèves, je ne savais pas comment les gérer. Je sortais des cours, je pleurais. Le public est de plus en plus difficile, il faut savoir gérer des gamins dont on sait pas s’ils sont dyslexiques ou dyspraxiques, si la MDPH les suit ou pas, si les AESH sont présentes ou non, si les emplois du temps de la classe sont compatibles avec les leurs quand elles se partagent l’accompagnement de deux gamins. Mais on fait comment ? On me répondait que je pouvais imprimer mes cours en Arial 12 pour les enfants dyslexiques, ou un cours par niveau. Mais ce n’est pas possible ! »

Des parents compliqués et une absence de soutien

Le fort investissement perso, les conditions de travail dégradées, l’absence de moyens pour inclure les enfants souffrant de handicaps, la liste des griefs est longue. « J’avais l’impression d’être infantilisée face à des parents qui me faisaient la morale. Une maman qui était restée toute la matinée à l’école avec moi a passé la récréation à me faire des reproches : 32 élèves de grande section, toute seule, oui on parle fort et parfois on réprimande les enfants car c’est une manière de se faire respecter ! » fustige Ilona qui considère que « les parents à l’école, c’est 80 % du stress ».

Quand elle parle de ses mauvaises expériences, « on me répondait que c’était normal », regrette Ilona : « Je ne savais pas que se faire cracher dessus c’est normal ! On s’étonne après que les profs partent en burn-out, même mes profs me disaient’si ça ne te plaît pas, tu n’as qu’à arrêter’. » Une absence de soutien que connaît aussi Maya. « À chaque fin de cours que ma tutrice observe, ce sont des reproches. ’Tu as fait une erreur, tu n’as pas été suffisamment claire, ton cours n’est pas suffisamment abouti’ », se souvient la jeune femme, que les remarques affectent.

« Tout le monde est en souffrance, les gens se protègent », fait remarquer Sandrine Garcia : « On a parfois imposé cette tâche aux tuteurs, donc ils ont parfois affaire à des gens de mauvaise humeur à qui on a collé une tâche supplémentaire. » Des tâches que les réformes ont accumulées au fil des années et qui ressortent des témoignages recueillis par Sandrine Garcia dans son enquête.

« C’est une réformite permanente qui ne tient jamais compte des conditions matérielles. On aboutit à un’c’est la loi, il faut l’appliquer, on va se démerder’. Sur les CP à 12, certaines écoles n’avaient pas la place, donc pour séparer une classe de 24 en deux de 12, elles mettent un simple rideau, qui n’isole pas du bruit les deux classes.

Dans ces conditions, seule Ilona a réussi à terminer son année scolaire, mais en enchaînant les crises d’angoisse. « J’étais malheureuse dans ce métier et je ne voulais pas le transmettre aux enfants : ils ne méritent pas ça. » C’est un master PIF pour « Pratiques & ingénierie de la formation » qui lui permettra de rebondir. « Une source de lumière dans le noir ! », se réjouit la jeune femme, qui s’éloigne plus de l’Éducation nationale que de l’enseignement.

Haly aussi garde dans un coin de sa tête une envie d’enseigner, malgré ses mauvaises expériences. « J’étais nulle à l’école, je viens d’un milieu très précaire, mes parents ne parlaient pas français. En seconde, j’ai rencontré une prof qui m’a fait prendre confiance en moi. Mon père est ouvrier et ma mère femme de ménage, être prof, c’était une sorte de revanche. Un jour j’y retournerai ! »



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