Malgré les pluies de l’hiver, les rivières du bocage virois restent fragiles


« La Souleuvre et la Vire débordent pour la première fois de la saison », relève Anthony, agriculteur à Coulonces, au nord de Vire. Constat répandu dans un Calvados englouti par la pluie cet hiver ; mais pas anodin dans le bocage virois. L’été dernier, le même Anthony faisait grise mine devant l’Allière, un affluent de la Vire quasiment desséché. « La sécheresse s’était encore aggravée et avait duré jusqu’en octobre », relate le cultivateur, par ailleurs membre du bureau de la Gaule viroise, la société de pêche locale.

Cette dernière tenait son assemblée générale le dimanche 22 janvier à Vire. Parmi les points abordés, cet été aride et destructeur pour le milieu aquatique. Quelques mois plus tard, « on manque de recul, mais il y a forcément eu de la mortalité chez les poissons » et les autres espèces des rivières, dit d’emblée Jean-Marc Fondeux, le président. Les cours d’eau du bassin aval ont particulièrement souffert, avec un écoulement très faible voire inexistant dans plusieurs secteurs, laissant des flaques stagnantes peu propices à la survie.

La géologie du bocage virois, avec des sols granitiques sans réelles réserves d’eau en profondeur, facilite un phénomène de montagnes russes dans les rivières : la sécheresse les a durement vidées, la pluie les a fortement remplies. Mais que se cache-t-il sous le niveau retrouvé du bassin de l’écluse dans le centre de Vire, vide et craquelé cet été ? En réalité, le mal a été fait car le repeuplement prend du temps. « Les truites ont un cycle de développement assez long, indique Yannick Salaville, responsable technique à la fédération de pêche du Calvados. Il faut trois ans à un individu pour se reproduire. Et cette espèce pond moins d’œufs que d’autres. »

Alors la Gaule viroise s’interroge. Comment gérer au mieux l’après-sécheresse 2022. Jean-Marc Fondeux prévient : « La saison de pêche sera sûrement plus difficile », même s’il pense que de « belles truites sauvages » ont eu l’instinct pour tenir bon, certains poissons sachant faire preuve d’une capacité de résilience remarquable. Le président de la société de pêche appelle à la responsabilité : « Interdire la capture serait mal pris. Mais quand les pêcheurs remettront des prises à l’eau, nous préconisons de faire très attention de ne pas les abîmer : utiliser des hameçons simples, se mouiller les mains avant de toucher le poisson, le décrocher dans l’eau », de sorte qu’il puisse repartir et continuer à grandir dans la rivière.

Hélas, une menace plane toujours sur les eaux du bocage. Celle d’un nouvel épisode de sécheresse, qui viendrait anéantir la lente reconstitution du milieu. « Là, l’eau est remontée mais on reviendra à sec si ça recommence », se projette lucidement Bernard, un pêcheur. « Ça peut surprendre de parler de crise de l’eau dans un territoire comme le nôtre mais nous devons être vigilants. Le problème peut se reposer », prévient le maire de Vire, Marc Andreu Sabater qui avait fait face à un risque de ruptures d’alimentation en eau potable à son retour de vacances, tant la pluie se faisait désirer. À la géologie locale s’ajoute la diminution du paysage de bocage ces dernières années. Ses haies, ses talus, ses zones humides, « qui limitent le ruissellement et retiennent l’eau », martèle-t-on à la Gaule viroise.

Lutter contre L’imperméabilisation des sols

Yannick Salaville n’y va pas par quatre chemins : « Le bassin amont de la Vire a plus de zones humides. Il a mieux résisté que le bassin aval qui en a moins. » Face à un climat déréglé, qui pourrait infliger davantage de périodes sèches, le technicien appelle « un changement des pratiques, une action globale », en pensant notamment à l’agriculture. L’extension des parcelles a conduit au retrait d’éléments propres au bocage. « Les agriculteurs sont prisonniers d’un système. Si la politique agricole ne leur dit pas de changer de modèle, c’est compliqué de modifier leurs pratiques. Localement, ils replantent des haies, mais pas beaucoup plus. » À l’image d’Anthony, de Coulonces, qui en a replanté pour la première fois, en partie sous la pression de ses enfants, en études d’agriculture. Le cultivateur pêcheur monte toutefois au créneau : « On met toujours le monde agricole en cause et on oublie parfois la ville, où on construit beaucoup », au détriment de l’absorption des sols, selon lui.

Cet été 2022 peut-il être synonyme de déclic sur ces sujets ? « Ce n’est pas sûr », modère Jean-Marc Fondeux. « Planter des haies ne suffit pas. Il faut restaurer les zones humides, ou moins protéger celles qui existent. En l’état, lâche le président de la Gaule viroise, « si la sécheresse se reproduit, on est démuni ». Si beaucoup d’interlocuteurs souhaiteraient une loi pour encadrer davantage les pratiques, une impulsion est donnée localement par les collectivités. « L’Intercommunalité a signé une convention sur trois ans avec l’agence de l’eau pour lutter contre le ruissellement. Il y a des actions rapides », note Marc Andreu Sabater. Le maire met en avant les efforts de l’agroalimentaire virois, à l’origine de 50 % de la consommation d’eau potable du réseau, mais qui a mis en œuvre des mesures pérennes pour la réduire. Ces efforts finiront-ils par payer ? « Ce sera dur, on a trop détruit dans nos campagnes, se désole Bernard, pêcheur depuis quarante ans. Il n’y a plus de ruisseaux. » Surtout dès que la sécheresse revient frapper.



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