Procès de l’incendie de la rue Erlanger : « J’ai perdu un être cher, rien ne peut changer cela »


Au cinquième jour du procès d’Essia B., 44 ans, jugée pour l’incendie mortel de la rue Erlanger le 5 février 2019 à Paris (10 morts, 96 blessés), de premières parties civiles sont venues livrer leurs récits à la barre. Le premier à s’avancer timidement ce vendredi face à la cour d’assises de Paris est Mathieu T., un jeune homme de 26 ans, qui vivait au sixième étage de cet immeuble fond de cour. Réveillé en pleine nuit par « une sorte d’explosion », il assure avoir pris rapidement conscience de l’ampleur du feu en entendant les cris de ses voisins. « Pas des gens qui ont peur mais des gens qui souffrent ».

Les flammes gagnent déjà tous les étages. Mathieu, qui n’a alors que 22 ans, tente de sortir de son appartement mais renonce tant le feu est intense. Il se replie sur le rebord de sa fenêtre, un balconnet d’à peine un mètre de large. Il assiste bientôt à d’horribles scènes, totalement impuissant. « Je vois ma voisine, Radia, qui tente de descendre par une corde faite en draps, mais elle cède. Je la vois tomber au sol. » Il voit aussi son jeune voisin Adel, 16 ans, qui vit au même étage, se jeter dans le vide. « Je pense vraiment qu’il était acculé. Quand je l’ai vu sauter, il y avait une sorte de détermination dans son regard, je pense qu’il n’avait plus de choix », relate-t-il.

Juché sur son étroit refuge, Mathieu manque de sauter lui aussi quand il aperçoit un pompier surgir des fumées. Porté par une poussée d’adrénaline, il parvient à suivre ses instructions pour descendre jusqu’au quatrième étage par une échelle à crochet. Plus bas, d’autres soldats du feu se relaient pour lui porter secours jusqu’à la sortie. Les poumons emplis de fumée et des cheveux brûlés, Mathieu est escorté rapidement à l’hôpital. S’il n’a aucune séquelle physique, il confie qu’il est « difficile de vivre après ça ». Il dit attendre du procès « une condamnation à la hauteur des dix vies qui ont été prises, pour toutes les familles qui ne s’en remettront probablement jamais. »

« Elle avait encore tellement de choses à vivre »

Après ce premier témoignage poignant, une atmosphère pesante règne dans la salle d’audience, où de nombreuses parties civiles se pressent chaque jour sur les bancs. Assia, une des petites sœurs de Radia B., profite de sa prise de parole à la barre pour lui rendre hommage : « Elle était toujours là pour nous, confie-t-elle au bord des larmes, c’est tellement injuste. » « C’était une femme intelligence, belle, un soleil. J’étais fou amoureux d’elle », témoigne Nadjib A., l’époux de la défunte, qui a survécu ce soir-là au drame et dont on perçoit l’écrasante culpabilité. Peu avant, une enquêtrice de personnalité a dépeint « une femme généreuse, dotée d’une grande joie de vivre, qui occupait une place centrale au sein de sa famille, surtout depuis le décès de son père. »

Radia B. avait 40 ans. Le couple voulait un enfant et envisageait de quitter cet appartement où ils n’étaient que de passage cette nuit-là. Très bouleversé, Nadjib exprime ses regrets : « Si j’avais su que les pompiers arrivaient, je l’aurais dissuadée de descendre par la corde. J’ai perdu un être cher, rien ne peut changer cela. J’essaye de l’accepter », glisse-t-il, très ému. Lui aussi espère que « justice soit faite », mais tient à souligner qu’il n’éprouve « aucune rancœur envers l’accusée ».

« Ces témoignages m’ont fait prendre conscience de l’impact de mes actes »

Pour que la défunte « ne soit pas réduite au statut de victime », dit-il, l’avocat général tient à partager quelques mots écrits par Radia B., adressés à son père : « L’amour plus fort que la mort, me donne envie de vivre encore plus fort. » Des mots illustrés par quelques photos, dont la lumière émane d’un visage gai.

Après ces premières dépositions poignantes, l’accusée demande à prendre la parole. « Ce geste n’était pas dirigé contre les gens. Il a mené à une catastrophe. », sanglote Essia B., recroquevillée dans son box. « Je suis très abattue, je ne dors plus, je ne mange plus, c’est très difficile », poursuit-elle. Cette femme en proie à de lourds troubles psychiatriques, et qui a reconnu son geste incendiaire, l’assure : « Ces témoignages m’ont fait prendre conscience de l’impact de mes actes. »

Ce lundi et durant trois jours, d’autres parties civiles qui l’ont souhaité doivent venir déposer devant la cour d’assises. Le débat sur l’état mental de l’accusée, dont les experts psychiatres ont conclu à l’altération du discernement au moment des faits, est attendu jeudi et son interrogatoire sur les faits vendredi.



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