Sage-homme ou chargé de comm’, « sur le coup, je me suis demandé si j’avais choisi les bonnes études pour moi »


Il avait beau avoir été prévenu, quand Jean est arrivé dans son premier cours du BTS communication de l’ISCOM, à Paris, à la rentrée 2021, il a été un peu surpris : « Nous n’étions que trois garçons ! J’avoue, ça m’a fait rire, et sur le coup je me suis demandé si j’avais choisi les bonnes études pour moi ». Mais un an et demi plus tard, alors que le jeune homme termine son BTS, il est en mesure de confirmer que cette expérience immersive ne l’a pas du tout traumatisé ; mieux, il rempile une année de plus dans son école pour intégrer la 3e année du programme grande école. Toujours au milieu des filles.

« Ils apprennent à accepter de voir des filles devenir cheffes »

Si dans l’enseignement supérieur français, selon les chiffres de la rentrée 2021, les étudiantes sont très légèrement majoritaires, et représentent 56% des effectifs, toutes filières confondues, l’orientation reste encore très genrée : davantage de garçons dans les filières informatique, mathématiques, les écoles d’ingénieurs, et plus de filles dans le social, la santé, l’éducation, les lettres, la biologie. Ainsi les garçons ne représentent que 13% des effectifs dans les filières paramédicales et sociales, et 30% dans les formations en lettres, langues, et sciences humaines à l’université.

La preuve par l’exemple avec l’École de biologie industrielle (EBI), une école d’ingénieurs reconnue par l’État installée à Cergy-Pontoise : 80% des étudiants y sont des étudiantes, une rareté dans le monde des écoles d’ingénieurs. « C’est sans doute lié à nos débouchés, dans les secteurs de la santé, de la beauté, le bien être, la nature, relève Florence Dufour, la directrice générale et fondatrice de l’école. Nous nous sommes demandés si nous devions agir pour avoir plus de garçons, mais cela reviendrait à faire de la discrimination positive contre les filles, donc on n’a pas souhaité le faire ».

En revanche, l’école a enquêté auprès de ses étudiants et étudiantes pour savoir ce que cela changeait pour eux d’étudier dans une école « de filles » : « Les étudiantes trouvent que l’environnement est plus reposant, elles y voient l’occasion de prendre plus de responsabilités, sans forcément attribuer cela au fait qu’il y a peu de garçons – alors que selon moi, cela joue beaucoup, car dans cet environnement elles prennent plus en assurance », décrypte la directrice.

Les garçons de l’EBI, eux, commencent par sortir des clichés sur les filles, « c’est plus calme », « c’est studieux », « ça bavarde », « mais quand on va plus loin dans leur réflexion, ils reconnaissent qu’ils se sentent un peu différents des autres garçons, souligne Mme Dufour : « Ils apprennent à travailler avec beaucoup de filles, et à accepter de voir des filles devenir cheffes : présidente d’association, cheffe de projet, cheffe aussi sur leurs terrains de stage. Je crois que ces garçons quand ils seront en situation de management seront donc plus à même de promouvoir les filles comme les garçons ».

« Il faut oublier les stéréotypes, et tout se passera bien »

Corentin, 22 ans, termine ses études à l’EBI, et confirme ce qu’en dit la directrice : « Lors des premières semaines à l’école nous restions pas mal entre garçons, mais en fait on s’habitue très vite, et rapidement on ne fait plus la différence entre garçons et filles, on s’intéresse plus à la personnalité des personnes qu’à leur genre ». Même impression pour Rafaël, 22 ans, étudiant sage-femme et également en charge du tutorat pour l’Association nationale des étudiants sage-femmes (ANESF).

Cette filière compte 4000 étudiants et étudiantes, dont seulement 3% de garçons : « J’ai été très bien accueilli par les étudiantes, qui étaient ravies d’avoir au moins 2 garçons sur 80 élèves dans leur promo, comme par les enseignantes, exclusivement des femmes dans mon école. Je pourrais presque dire que j’ai même été un peu chouchouté, au début, rigole Rafaël. Si des garçons me lisent et hésitent à s’inscrire dans une formation où il y a beaucoup de filles, je leur conseille de ne pas hésiter, de ne pas avoir peur. Il faut oublier les stéréotypes de genres que la société nous impose, et tout se passera bien ».

Jean de son côté, qui se dit « hyper heureux » dans son école, note cependant quelques différences dans la façon de travailler entre les groupes de filles et les groupes de garçons – il est bien placé pour en parler puisqu’au collège il a toujours été dans des classes de garçons : « Je trouve que dans le travail de groupe les filles sont plus attentives aux autres, plus posées, les garçons plus directs, plus brouillons. Comme garçon travaillant avec des filles, j’ai peut-être eu plus souvent à argumenter et expliquer mon point de vue que quand j’étais uniquement avec des garçons ».

Effet collatéral à leur immersion en milieu féminin, Corentin comme Jean notent que cette expérience a contribué à les rendre plus vigilants sur les difficultés que peuvent rencontrer les filles, notamment en soirée : « Je pense que je suis devenu plus bienveillant, témoigne Corentin, dans les soirées avec d’autres écoles d’ingénieur où il y a beaucoup plus de garçons, les filles qui se font aborder savent qu’elles peuvent venir me voir si cela les dérange ». « En discutant avec des amies de l’école, j’ai mieux compris pourquoi les filles ne se sentent pas à l’aise dans la rue la nuit, alors que c’est une situation que je n’ai jamais connue personnellement » relève Jean, qui dit toujours s’inquiéter de savoir comment ses copines rentrent chez elles le soir.

A l’EBI, Florence Dufour relève un autre effet collatéral de cette surreprésentation des filles, positif celui-ci : « Les étudiants aux genres fluides, qui ne se définissent ni comme garçon ni comme fille, sont très à l’aise à l’EBI ! ». Et petit détail supplémentaire, l’école a décidé de faire disparaître les genres sur les bulletins et les courriers : plus de Madame, ni de Monsieur, étudiantes et étudiants sont appelés par leur nom et prénom, tout simplement.



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