Art : foire d’empoigne en régions


Publié le 29 avr. 2023 à 13:04

Dans le foisonnement des foires d’art, BAD + Art Fair, de retour à Bordeaux du 5 au 7 mai, sort du lot. Par son positionnement premium, qui mêle art et art de vivre, grâce à l’appui des châteaux bordelais. Et par le réseau de son instigateur, Jean-Daniel Compain. Longtemps à la tête de la FIAC et Paris Photo, il a su attirer des galeries parisiennes reconnues : Loeve & Co, Ingert, Christian Berst, Anne-Sarah Bénichou, Bessières…

Entre les temps forts culturels (Voyage à Nantes, Lille 3000…) et la vingtaine de foires, il ne se passe pas une semaine sans que l’art contemporain ne soit en vedette sur le territoire. La concurrence est vive. Mais rares sont les événements commerciaux comparables, par leur exigence, au Salon bordelais. « On peut citer Art-o-rama à Marseille et, dans une moindre mesure, Lille Art Up. L’ambition de BAD+ se rapproche de foires européennes comme Art Rotterdam, Artgenève ou Artmonte-carlo », décrypte un fin connaisseur du secteur. Le paysage hexagonal compte surtout des foires à la sélection peu regardante et à la ligne éditoriale inexistante, acceptant plus d’artistes en direct que de galeries.

« Question d’image »

« L’art est une question d’image pour les villes. Beaucoup de ces salons n’ont pas le niveau des foires parisiennes, mais elles ont le mérite d’exister pour les artistes sans galerie », souligne Guillaume Piens, le commissaire général d’ Art Paris Art Fair. Car, en la matière, « Paris aspire » et beaucoup d’événements en région n’ont pas duré. Docks Art Fair, connectée à la Biennale de Lyon, n’est pas réapparue depuis le Covid et Art Fair Dijon ne donne aucune information en ligne sur une quelconque actualité cette année, après deux éditions compliquées.

« Les gros collectionneurs préfèrent acheter dans la capitale. Il y a un complexe de province », note encore Guillaume Piens. Et les meilleures galeries ont tendance à les suivre, à l’instar de l’auvergnate Claire Gastaud, à la fois à Clermont-Ferrand et près de Beaubourg, ou du stéphanois Ceysson & Bénétière, qui a essaimé dans le Marais.

Certains organisateurs ont néanmoins trouvé la recette : l’alsacienne Art3F, créée en 2012, a essaimé dans quatorze villes françaises et sept européennes. « Il y avait un décalage entre Paris, qui concentrait tout, et les métropoles régionales, où il y avait surtout des manifestations associatives pour amateurs. Dans mon agence de communication, avec un galeriste et un artiste, nous avons eu l’idée de créer une foire conviviale dans le parc des expositions de Mulhouse. Dans la foulée, Lyon et Nantes nous ont sollicités », raconte Serge Beninca, fondateur et directeur de Art3F.

Des CSP +

Les adultes paient 10 euros l’entrée – six fois moins qu’à Art Basel, le premier salon au monde -, les familles sont les bienvenues, et des groupes de jazz apportent une touche festive. A3F draine 22.000 visiteurs à Strasbourg et 35.000 à Mulhouse, venus de cinquante kilomètres à la ronde. Les stands de 9 à 72 m2 (et de 130 à 200 euros le mètre carré) attirent des artistes et des galeries de bien plus loin.

« Les villes aiment ces événements sexy, qui attirent des cadres, chefs d’entreprise, professions libérales, à fort pouvoir d’achat. Pour cette raison, sur certaines de nos foires, comme Reims, nous avons comme partenaires des banques. Mais pas besoin d’avoir une Rolex ou des sneakers à 1.200 euros pour aimer l’art », observe Serge Beninca : « Contrairement à Art Basel, visitée comme un musée par 99 % du public, car les oeuvres valent de plusieurs milliers à plusieurs millions d’euros, nos prix commencent à quelques centaines d’euros, avec un panier plutôt entre 1.500 et 15.000 euros. »

Pas besoin d’avoir une Rolex ou des sneakers à 1.200 euros pour aimer l’art.

Serge Beninca Directeur de Art3F

Art3F est devenu le premier organisateur européen de foires d’art en région, avec un chiffre d’affaires de 5 millions. Ce qui ne présage en rien des ventes réalisées par ses exposants. Car le modèle a ses limites. « J’ai participé à Art3F à Paris, Nantes, Bordeaux. Je n’y ai fait aucune vente. Les organisateurs attirent les galeries pour valoriser la foire, mais les clients regardent les prix plus bas des artistes en direct », se souvient un marchand déçu. Par ailleurs, il n’y a pas d’identité régionale spécifique à chaque foire, « sinon on ne remplirait pas », justifie Serge Beninca. Art3F a d’ailleurs connu quelques échecs comme à Rennes, abandonné pour ne pas abîmer sa marque.

Ecosystème

Art Shopping, lui, mise sur la mutualisation pour réduire ses coûts et renforcer sa puissance promotionnelle, cette fois dans les stations balnéaires chics. Deauville attire 100 exposants et plus de 6.000 visiteurs, Parisiens et Normands, et Biarritz, 50 exposants et plus de 8.000 visiteurs en provenance de Bayonne-Anglet-Biarritz, des Landes et d’Espagne. « Nous étions aussi à La Baule, où nous recherchons actuellement un lieu plus adapté, et sommes en contact avec Le Touquet », confie Myriam Castanet, sa directrice, qui accueille une majorité d’artistes sans galerie.

Malgré l’engouement pour l’art contemporain – à l’échelle de la planète, l’art d’après-Seconde Guerre mondiale et contemporain pèse 54 % des ventes aux enchères d’art toutes époques confondues et c’est probablement plus chez les marchands -, ces foires ont besoin d’un écosystème culturel fort pour éclore comme en ont Nantes, Arles, Lille, Lyon, Marseille, Nice… « Seules les villes aux marques mondiales peuvent attirer des salons au prestige international », dit Jean-Daniel Compain, citant, outre Bordeaux, Cannes et Deauville, où il ne s’interdit pas d’aller.



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