au cœur de la relation particulière entre Elizabeth II et François Mitterrand




La reine et François Mitterrand, au pouvoir entre 1981 et 1995, vont se fréquenter pendant quatorze ans, la relation la plus longue dans l’histoire de la Ve République. Cette connivence au sommet va compenser le manque d’intérêt pour l’Angleterre du président français qui privilégie le couple franco-allemand. Mitterrand a été traumatisé par l’effondrement de la France en 1940. Il est peu sensible à l’héroïsme du peuple britannique combattant seul contre le Troisième Reich lors du Blitz. Le chef de l’État entretient par contre des relations privilégiées avec le chancelier Kohl, avec qui il partage la même animosité envers la Première ministre britannique, Margaret Thatcher.

Alors que Charles III a choisi la France pour son premier déplacement officiel depuis son accession au trône, retour sur la troisième des cinq visites d’État réalisées par sa défunte mère en France, Elizabeth II.

De la pyramide du Louvre au musée d’Orsay

Malgré un vague cousinage avec Albion du côté de son ascendance Poitou-Charentes, François Mitterrand ne parle pas un mot d’anglais. Avec Elizabeth II, il s’entretient soit par le biais d’un interprète, soit en français comme a pu le constater l’ancien conseiller et ministre Michel Charasse : « La reine parlait un excellent français. Elle saisissait toute la finesse des mots de la langue. Elle était très gentille et très drôle. Mitterrand l’aimait beaucoup et elle aussi. »

À l’occasion de son séjour officiel du 9 au 12 juin 1992, Elizabeth II visite quatre des grandes réalisations du mandat du président François Mitterrand : la pyramide du Louvre, la Cité des sciences de La Villette, la grande arche de la Défense et le musée d’Orsay.

À LIRE AUSSIElizabeth II : avec la France, une entente très cordialeLors du banquet de l’Élysée, la souveraine met l’accent sur la construction européenne, au moment où la nouvelle phase d’élargissement et d’approfondissement entraîne des dissensions entre les deux pays. Comme l’écrit Le Monde la veille de sa venue, « même si la Grande-Bretagne a accompli des efforts notables pour participer au concert parfois désordonné de la Communauté, même si elle a franchi un seuil psychologique en acceptant d’être reliée au continent par le tunnel sous la Manche, elle demeure, vue de France, le « mouton noir » de l’Europe ». N’empêche, dans son laïus qui porte l’empreinte de l’esprit européen alors que Londres doit présider, à partir du 1er juillet, la Communauté européenne, Elizabeth II déclare : « La tradition anglo-saxonne est un peu à la tradition latine en Europe ce que l’huile est au vinaigre. Il faut les deux pour faire la sauce, sinon la salade est mal assaisonnée. »

Quand le bateau royal tangue

Le lendemain, Sa Majesté se rend à Blois à bord d’un TGV filant à 300 kilomètres à l’heure. Grand ordonnateur des festivités présidentielles, Jack Lang, ministre d’État, ministre de l’Éducation nationale et de la Culture qui l’accompagne, lui fait visiter le château. Les couleurs de la tenue de la souveraine – rose et gris – s’harmonisent élégamment avec la chemise et le costume du ministre.

La visite se termine à Bordeaux, la plus anglaise des villes de France depuis le mariage d’Aliénor avec Henri II Plantagenêt, en 1154, qui avait placé le duché d’Aquitaine sous domination anglaise pendant trois siècles. Le président de la République est l’hôte de la souveraine à bord du yacht royal Britannia, amarré dans le port de la ville.

Pour la petite histoire, le Britannia a failli couler ce soir-là dans le port de Bordeaux. Après le dîner offert par la reine, les invités rejoints par d’autres personnalités assistent sur le pont à la parade militaire des Royal Marines sur les quais. Soudain, le feu d’artifice organisé par l’Élysée sur la rive droite de la Garonne provoque un brusque mouvement de foule qui menace de faire chavirer le petit esquif de Sa Majesté. L’équipage empêche une catastrophe en déployant d’urgence des poids pour maintenir le bateau à l’équilibre.

Notre série Visites royales
En 1957, Elizabeth II ovationnée pour sa première visite d’État en France

La visite d’Elizabeth II s’effectue sur fond de crise au sein de la famille royale. La presse française fait ses choux gras des déboires conjugaux de trois de ses quatre enfants, Charles, Anne et Andrew.

Charmeurs charmés

L’ancien ministre français des Affaires étrangères, Hubert Védrine, explique l’admiration de Mitterrand pour Elizabeth II par sa propre psychologie vis-à-vis de la royauté : « Il était majestueux, impérial, royal en somme, comme De Gaulle. Il avait lu et relu toutes les biographies des rois de France. L’entourage du monarque républicain est aussi une cour, qui n’a rien à envier à celle des Windsor. » Protocole, carrosses et grenadiers en moins.

C’est une vraie reine.François Mitterrand au sujet d’Elizabeth II

Comme beaucoup de femmes, la monarque est tombée sous le charme de François Mitterrand, qui aurait été capable de séduire une pierre, pour reprendre la jolie expression de Françoise Giroud. Il était sensible aux femmes de pouvoir. La reine trouve, certes, son interlocuteur sentencieux, hiératique et fuyant, mais tellement intéressant. Visiblement impressionné par la grandeur et la noblesse d’Elizabeth II, le président lui rend le compliment : « C’est une vraie reine. » Parmi tous les hommages, c’est sans doute celui qui l’a le plus touchée.

Oubliée, la désastreuse visite d’État de Mitterrand à Londres en 1984. Le service de sécurité de la présidence avait tenté de piéger la police londonienne en cachant une fausse bombe dans la résidence de Kensington Palace Gardens. Au matin, l’artificier français avait été interpellé par les bobbies.

Mais entre chefs d’État, les fâcheries n’ont qu’un temps. En mai 1995, visiblement malade, François Mitterrand retrouve Elizabeth II pour la dernière fois lors des célébrations du 50e anniversaire de la victoire du 8 mai 1945. La souveraine, qui la plupart du temps marche avec lenteur, court littéralement vers lui. Tout un symbole…




Lien des sources