ce qu’il faut savoir sur cette mesure
Faire un geste pour les Français qui dépendent de leur voiture, sans financer les énergies fossiles. C’était l’objectif du gouvernement. Élisabeth Borne a annoncé, dans une interview donnée samedi 17 septembre au Parisien, vouloir autoriser les distributeurs à vendre les carburants à perte « sur une période limitée de quelques mois ». La Première ministre promet « des résultats tangibles pour les Français sans subventionner le carburant ».
Cette mesure sera incluse dans le projet de loi sur les négociations commerciales entre les supermarchés et leurs fournisseurs de l’agro-industrie. Celui-ci sera examiné début octobre à l’Assemblée nationale. Si le Parlement donne son feu vert, « ce sera effectif à partir de début décembre, j’espère le 1er décembre », a précisé le ministre de l’Économie Bruno Le Maire ce lundi matin sur France 2.
Pour l’exécutif, il y a urgence. Le prix du diesel atteint 1,88 euro le litre, et l’essence avoisine les 2 euros. Une augmentation due au contexte géopolitique ainsi qu’à la baisse de l’euro par rapport au dollar. Cette pression sur le porte-monnaie des Français explique que le gouvernement revienne sur soixante ans de législation.
Qu’est-ce que la vente à perte ?
Sur son site, la Répression des fraudes définit la vente à perte comme « la revente d’un produit en l’état au-dessous de son prix d’achat effectif ». Par prix d’achat effectif, il faut comprendre le prix unitaire net figurant sur la facture d’achat, auquel on ajoute les taxes sur le chiffre d’affaires, les taxes spécifiques afférentes à cette revente et le prix du transport. Précisons qu’en 2023, les taux de la taxe intérieure de consommation des produits énergétiques, la TICPE, sont de 60,75 centimes par litre pour le gazole (62,64 centimes en Île-de-France) et 69,02 centimes pour l’essence sans plomb SP95-E5 (70,04 centimes en Île-de-France).
La vente à perte est-elle interdite ?
En France, la vente à perte est interdite depuis 1963. Elle le restera d’ailleurs pour les autres produits que les carburants, et pour les autres vendeurs que ceux de la grande distribution. L’objectif est d’éviter une concurrence déloyale vis-à-vis des concurrents les plus fragiles. Les soldes d’hiver et d’été font exception, mais les périodes de l’année sur lesquelles ils sont autorisés sont très encadrées.
La Répression des fraudes scrute attentivement tout manquement. En 2018, elle a fait poursuivre Intermarché pour avoir revendu à perte un autre genre d’or noir, puisqu’il s’agissait de Nutella. Le distributeur a été condamné à verser l’amende maximale prévue par la loi pour ce type d’infraction, soit 375 000 euros.
Quelles baisses des prix des carburants à la pompe ?
Au sein du gouvernement, les ministres ne font pas tous preuve du même enthousiasme. Olivier Véran, lui, promet des réductions importantes. « On parle quasiment d’un demi-euro potentiellement en moins par litre », a expliqué le porte-parole du gouvernement ce dimanche sur RTL. « On ne dit pas que l’essence va tomber à 1,40 euro dans toutes les stations pendant six mois. On dit qu’il peut y avoir des opérations commerciales qui peuvent être conduites. »
De son côté, Bruno Le Maire s’est montré plus prudent en refusant de « s’engager sur un chiffre [qu’il] n’est pas certain de tenir ». Il espère seulement permettre aux Français de « trouver, en fonction de ce que les distributeurs peuvent faire, du carburant moins cher partout dans le pays ». Le gouvernement ne met pas tous ses œufs dans le même panier. Bercy brandit la menace de reconduire la taxe sur les surprofits des raffineurs si ceux-ci ne rognent pas sur leurs marges.
Le cabinet Asterès, dont les études font référence dans de nombreux titres de la presse nationale, se montre moins optimiste. « Même si les distributeurs vendaient légèrement à perte, le gain ne serait au mieux que de quelques centimes par litre », peut-on lire dans une note publiée ce dimanche. Sylvain Bersinger, chef économiste du cabinet, préconise plutôt « des aides ciblées aux ménages les plus impactés par la hausse des carburants ».
Quelles enseignes pourraient vendre à perte ?
Aucun acteur de la grande distribution n’a encore fait d’annonce à ce sujet. Cependant, on peut raisonnablement penser qu’ils se saisiront de cette opportunité pour attirer davantage de clients. « Ils vont perdre de l’argent sur le carburant. En revanche, ces clients vont rester faire leurs courses », a expliqué François Geerolf, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques, auprès de France Info. C’est un « argument commercial très important ». Les distributeurs ont ainsi multiplié les ventes à prix coûtant depuis le début de l’été.
Quelles chances le projet de loi a-t-il d’être adopté ?
À droite, le groupe RN, qui compte 88 députés sur 577, y est défavorable, selon les déclarations du vice-président du RN Sébastien Chenu lundi matin sur Public Sénat. Le président de Reconquête ! Éric Zemmour a, lui, critiqué, sur BFMTV, un « bricolage » du gouvernement, plaidant pour une baisse de taxes.
À gauche, le coordinateur de LFI Manuel Bompard a dénoncé dimanche sur France 3 des « plaisanteries » et des « amuse-gueules » mis en place par l’exécutif. Il a appelé à « sortir des logiques d’incantation » et à « bloquer les prix des carburants à, à peu près, 1,50 euro ».
En vendant à perte, les distributeurs feraient-ils des mécontents ?
Les pompistes traditionnels craignent de mettre la clé sous la porte. « Mes adhérents vivent à 40 ou 50 %, voire plus, de la vente du carburant. S’ils vendent à perte, je leur donne trois mois », s’est indigné Francis Pousse, président du syndicat professionnel Mobilians, qui représente 5 800 stations-service hors grandes surfaces. Hormis les stations Total, dont l’entreprise mère maîtrise toute la chaîne du produit, de l’exploitation à la distribution, ces stations « ne réalisent qu’un à deux centimes d’euro de marge par litre en temps normal », assure Francis Pousse, qui rencontrera Bruno Le Maire ce lundi.
De son côté, TotalEnergies a indiqué qu’il prolongerait l’an prochain le plafonnement à 1,99 euro par litre d’essence et de diesel dans l’ensemble de ses 3 400 stations en France.