Ce qu’il faut savoir sur l’assassinat d’un dissident azerbaïdjanais à Mulhouse
Les médecins de l’hôpital Muller de Mulhouse n’ont pas pu sauver Vidadi Isgandarov. Admis en réanimation dimanche, cet homme de 62 ans, réfugié politique azerbaïdjanais en France, a été brutalement attaqué à son domicile, où il a reçu au moins une quinzaine de coups de couteau au thorax et à l’abdomen. Il a finalement succombé à ses blessures mardi matin.
Dimanche, avant l’aube, trois assaillants cagoulés s’étaient introduits à son domicile par une fenêtre cassée et l’avaient surpris en plein sommeil. « Deux d’entre eux lui tenaient les bras et lui couvraient la bouche et le troisième l’a poignardé de nombreuses fois », explique son frère en mimant des coups de couteau sur sa poitrine. En se débattant, Vidadi est parvenu à se dégager et à crier à l’aide, faisant fuir les agresseurs. Avec ses dernières forces, il a appelé son frère, réfugié comme lui à Mulhouse, qui a prévenu la police.
À 7 h 30, Oqtay, 66 ans, arrive sur les lieux et trouve son frère dans une mare de sang, essayant de stopper l’hémorragie avec un oreiller. « Il était encore conscient. J’ai pu lui parler une minute avant que l’ambulance ne l’emporte, raconte-t-il. Il m’a expliqué comment ça s’était passé. Ils étaient cagoulés, il n’a pas pu voir leur visage et ils n’ont prononcé aucun mot. Mais il m’a dit : “C’est une tentative d’assassinat politique.” Mon frère était l’un des leaders de l’opposition azerbaïdjanaise en Europe. C’est un signal pour tous les activistes qui critiquent le régime. »
À LIRE AUSSI L’Azerbaïdjan, cet infréquentable allié d’IsraëlLe procureur de Mulhouse a confirmé l’ouverture d’une enquête pour homicide, qui a été confiée au service régional de la police judiciaire. Aucune précision sur l’identité possible des tueurs n’a émergé. L’autopsie du corps du dissident devrait prendre au moins une semaine. Le lien entre sa mort et son activité politique n’est pas démontré, estime le parquet, qui entend laisser ouvertes toutes les pistes.
Mais le mobile politique semble le plus probable. Depuis son refuge alsacien, Isgandarov animait une chaîne YouTube où il dénonçait âprement le régime corrompu de Bakou. En 2018, il est déjà surveillé par les services de son pays et une pétition en ligne est lancée en France pour réclamer l’extradition d’Isgandarov vers l’Azerbaïdjan.
La victime vivait très modestement, sans protection policière, mais se sentait menacée. « Il avait 1 000 ou 2 000 euros sur un compte et me disait de les prendre pour m’occuper de sa famille s’il lui arrivait quelque chose », témoigne Oqtay. Il recevait des messages de menaces très souvent, poursuit-il. Il y a quelques semaines, un numéro masqué lui avait envoyé des menaces de mort, en azéri.
« On va venir te tuer
– Pourquoi ?
– Arrête de dénigrer l’Azerbaïdjan ! »
L’attaque contre cet opposant trop bavard rappelle surtout de récentes tentatives d’assassinat contre un autre dissident azerbaïdjanais, le blogueur Mahammad Mirzali. En octobre 2020, ce dernier s’est fait tirer dessus, à travers la vitre de sa voiture, à Nantes, il en est sorti légèrement blessé. Six mois plus tard, il a été attaqué par six hommes qui ont tenté de lui trancher la langue et a reçu plus d’une quinzaine de coups de couteau sur tout le corps.
En 2022, enfin, un commando de tueurs présumés a été intercepté par la police française à un péage, en direction de Nantes. L’un des suspects, un ex-instituteur reconverti en vendeur de voitures en Pologne, détenait une arme et des munitions, un couteau, un traceur, et avait inscrit comme destination dans son GPS l’adresse de Mahammad Mirzali.
Vidadi Isgandarov (ou Isgandarli en azéri) avait obtenu l’asile humanitaire en France en 2017, après avoir fui son pays d’origine puis la Géorgie, où il était menacé. Diplômé de l’académie de justice de Kharkov en 1990, il devient magistrat en Ukraine puis en Azerbaïdjan après son indépendance. Au début des années 2000, il est écarté et dénonce la corruption, puis il fonde une organisation de défense des droits de l’homme.
En 2010, il se porte candidat à un siège de député mais se voit accuser d’« entrave au déroulement du vote » pour avoir dénoncé des falsifications. En 2011, il est de nouveau arrêté et emprisonné pour avoir participé à deux manifestations contre la dictature.
Soutenu par une campagne internationale et désigné prisonnier d’opinion par Amnesty International, Isgandarov est finalement gracié par Aliev, sous la pression du département d’État américain, précise son frère, et il quitte l’Azerbaïdjan pour la Géorgie puis la France.
« Dans mon pays, si vous criez “liberté”, vous allez en prison”, souffle Oqtay. À l’heure actuelle, il y a environ 300 prisonniers politiques en Azerbaïdjan. »