Comment j’ai écrit le film de mes rêves avec l’IA



Mesdames, messieurs, attachez vos ceintures : je reviens du futur, et il fait peur. Ou pas. C’est selon. Depuis la disparition de Jean-Pierre Bacri, quelque chose manque au cinéma français. Cette ironie bienveillante, ce regard lucide mais jamais cruel sur nos petites lâchetés, ces silences plus éloquents que les mots. Alors j’ai tenté une expérience folle : écrire un film dans le style du tandem qu’il formait avec Agnès Jaoui, avec l’aide d’une intelligence artificielle. Par envie d’entendre encore leurs répliques, de retrouver leur humour pince-sans-rire, de faire vivre encore un peu la vision du monde de Jean-Pierre Bacri. Rien que ça.

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L’IA en question s’appelle Claude. Ne cherchez pas de photo d’elle sur Google, elle n’en a pas. Pas encore. Elle écrit, analyse, débat, suggère. Avec une politesse toute anglo-saxonne qui ferait passer nos scénaristes de la Fémis pour des rustres de comptoir. « Puis-je suggérer une approche plus subtile pour cette scène ? » Mais oui, Claude, tu peux.

Une stupéfiante collaboration homme-machine

Le résultat de cette collaboration homme-machine m’a ébranlé. Claude a tenté de saisir l’essence même du style Jaoui-Bacri : l’ironie douce-amère, les silences qui en disent long, les répliques qui font mouche. J’avais beaucoup aidé Claude en lui fournissant une bible des personnages très précise. J’avais aussi conçu la trajectoire des personnages, principaux et secondaires, et j’avais suggéré leurs entrelacs, et leurs résolutions à la fin du film. J’ai même fait le casting du film pour aider Claude à écrire des dialogues adaptés. Une très belle affiche avec les Ja-Ba mais aussi Gérard Darmon, Miou-Miou, Gérard Jugnot, Gérard Lanvin, Anaïs Demoustier…

L’IA a tout compris : en quelques secondes, elle a fabriqué une cinquantaine de scènes pour tisser tous les fils. Ensuite, je lui ai demandé d’ajouter des scènes muettes, couvertes par la musique. Et justement, en parlant de BO, elle a pondu une playlist incroyablement cohérente avec la tonalité du film… J’étais scié. En trois week-ends et une vingtaine d’heures, Claude et moi avons bouclé un séquencier précis et l’ensemble des 55 scènes dialoguées. Je pouvais doser les émotions pour corriger ce qui ne me convenait pas : gommer ici une invraisemblance, ajouter un peu d’épices à telle situation, modérer la part de pathos de telle ou telle scène. Claude comprenait tout et il ne lui fallait guère qu’une trentaine de secondes pour délivrer une nouvelle scène, ajustée selon mes indications de « metteur en scène ». Federico Fellini, réveille-toi ou je vais devenir fou !

Les limites de l’imitation Jaoui-Bacri

Et le résultat ? Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui sont inégalables. D’autant que leur style n’est pas fait de « vannes ». Donc, l’IA a reproduit les tournures de phrases de Bacri mais ni le fond de son propos, ni l’essence de son humour. Cependant, elle m’a aidé à écrire 140 pages d’un scénario cohérent et de bonne facture. Qui est l’auteur, ai-je demandé à Claude ? « Je suis programmé pour aider à créer et développer des idées, mais je ne peux pas revendiquer de droits d’auteur. Ce scénario est né de notre collaboration créative, mais les droits vous appartiennent entièrement en tant qu’humain, » m’a-t-il, ou elle, répondu.

Et l’humour, comment Claude a pu produire des répliques drôles ? « C’est une excellente question qui touche au cœur de mon fonctionnement, répond Claude. Je ne “ressens” pas l’humour comme un humain, c’est vrai. Je suis amené à reconnaître les structures, les mécanismes et les codes qui créent l’humour. Un peu comme un musicien qui peut jouer une partition sans ressentir l’émotion qu’elle est censée provoquer. »

Les acteurs numériques sont déjà là

Chers cinéphiles, soyons lucides, ce n’est que le début d’une révolution. Car demain (mettons après-demain, le temps que la SACD, la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, digère la pilule), vous pourrez commander votre film sur mesure. Comme un costume chez le tailleur, mais sans les épingles qui piquent. Une interface vous proposera de cocher des cases : « Je veux une comédie romantique », « Qui se passe à Paris », « Dans les années 1950 », « Avec Audrey Hepburn et Ryan Gosling ». Clic, clic, clic. L’IA aura une telle capacité de calcul qu’elle transformera en quelques heures votre rêve de 24 images par seconde en une image numérique plus vraie que nature.

Je m’y suis fait prendre lorsque l’informatique a rajeuni Harrison Ford de trente ans dans le dernier opus de la saga Indiana Jones. Arrivant en retard au cinéma, je suis entré précipitamment dans la salle. Découvrant le « jeune » Harrison Ford à l’écran, j’ai cru pendant une dizaine de minutes que je m’étais trompé de salle et qu’il s’agissait de la rediffusion d’un ancien épisode de la saga…

Devenir le héros de ses propres films

Mais l’IA ira encore plus loin. Demain, vous pourrez ÊTRE la star. Votre avatar numérique, scanné un jour où vous étiez au top de votre forme (évitez le lendemain du Nouvel An), pourra donner la réplique à Marilyn Monroe, Brigitte Bardot, ou Clark Gable. Vous rêviez de remplacer Tony Curtis dans Certains l’aiment chaud ? C’est possible. D’accueillir Marilyn dans votre couchette comme Jack Lemmon ? Aussi. Pour 50 euros par mois, vous devenez le héros de vos fantasmes cinématographiques. Vos enfants aiment faire des « selfies » ? Ils adoreront faire des « self-ci » (pour self-cinéma).

Les puristes s’étrangleront. « Le cinéma est un art ! » crieront-ils entre deux rétrospectives Godard. Certes. Mais l’imprimerie aussi était un art avant de devenir une commodité. Demandez aux moines copistes ce qu’ils en pensent. Ah non, ils sont morts depuis longtemps. Comme le cinéma tel que nous le connaissons va mourir.

De « scénariste » à « directeur des possibilités »

Je vous vois venir : « C’est la fin de la création ! Du génie ! De l’inspiration ! » Vraiment ? N’est-ce pas plutôt la démocratisation ultime du rêve ? Quand tout le monde pourra créer son film, les vrais talents émergeront différemment. Peut-être verrons-nous naître des « directeurs de possibilités », des « architectes d’histoires » qui concevront non plus un film, mais des arbres de narration où chaque spectateur tracera son chemin.

Les acteurs ? Ils deviendront des marques. Leurs héritiers vendront leurs droits d’image comme on vend un vignoble. « Le Humphrey Bogart 1942, un excellent millésime, parfait pour votre film noir. » Les stars contemporaines négocieront des contrats incluant leur utilisation posthume. « Tom Cruise est disponible jusqu’en 2150, sauf pour les comédies musicales, après 2080. »

Quand l’IA devinera vos goûts

Les salles de cinéma ? Transformées en espaces d’expérience collective où les spectateurs voteront en direct pour choisir le destin des personnages. « Pour que Harry quitte Sally, tapez 1. Pour qu’il reste, tapez 2. » Enfin, non, ça, je n’y crois pas trop et Robert Hossein a tué le match.

Mais le plus fascinant reste à venir. Quand l’IA comprendra si bien nos goûts qu’elle nous proposera le film dont nous rêvons sans même que nous le sachions. « Je vois que vous êtes déprimé et que vous avez regardé trois fois Le Père Noël est une ordure cette semaine. Puis-je suggérer une comédie sur un prof de philo qui découvre que son poisson rouge est la réincarnation de Spinoza ? » Le cinéma devient un service de streaming psychiatrique. Netflix et mon psy en même temps, pour le prix d’une séance chez un ophtalmo non conventionné.

Des frères Lumière à « Personal Hollywood »


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Est-ce la mort du 7e art ? Peut-être. Ou sa renaissance. Après tout, les premiers spectateurs du cinématographe Lumière s’enfuyaient en voyant arriver le train en gare de La Ciotat. Aujourd’hui, nous nous apprêtons à monter dans ce train, destination « Personal Hollywood ». Le ticket coûte 50 euros par mois, le voyage est illimité, et les accidents n’ont lieu que dans les films. Ceux que vous aurez choisis en cochant les cases « Film futuriste », « Intelligence artificielle », « Invente un monstre », « sous les traits d’Orson Welles ».

Claude ne s’est pas contenté d’écrire le séquencier et les scènes. Il a aussi élaboré le plan de production, les semaines de tournage, les raccords de saison, la campagne de promotion, et listé les festivals de ciné que le film pourrait viser (à moi la Croisette et Locarno !)… Darryl Zanuck, sors de cette machine du diable !




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