comment la télé va réanimer la célèbre BD

Vingt-cinq millions d’exemplaires vendus dans le monde, deux films live, trois séries d’animation, quatre jeux vidéo… Le petit écolier rouquin Boule et son cocker gaffeur Bill ont bien roulé leur bosse depuis leur création en 1959 dans les pages de Spirou, sous la plume et le crayon de Jean Roba. Attention, chien marrant, Jeux de Bill, Bill est maboul, Ras le Bill ou encore le super culte Globe-trotters… Vingt et un albums historiques signés Roba (refondus dans une nouvelle collection en 1999) ont bercé les tendres années de moult baby boomers et celles de leurs enfants jusqu’en 1987 aux éditions Dupuis, tandis que de nouveaux auteurs/dessinateurs ont pris la relève depuis pour le compte de la maison Dargaud.
Chaque année, selon l’éditeur, la licence Boule et Bill écoule toujours environ 100 000 copies, tandis qu’un huitième ouvrage inédit portant la griffe du tandem Christophe Cazenove (scénario) et Jean Bastide (dessin) sera publié en novembre – intitulé Te fais pas de Bill. Mais ce n’est pas tou-tout ! En 2026, les fans pourraient bien avoir un nouvel os de taille à ronger : une série télé mixant prises de vues réelles et animation 3D (le jargon parle dans ce cas d’« animaction »), à la manière des films Les Schtroumpfs, Paddington ou, en des temps plus reculés avec des techniques plus rudimentaires, de Qui veut la peau de Roger Rabbit et Mary Poppins.
Une technologie empruntée à The Mandalorian
Idée neuve pour la franchise, qui jusqu’ici n’avait jamais opéré la fusion entre les deux mondes, l’animaction de ce Boule et Bill new look fera appel aux technologies numériques dernier cri, dont celle des décors virtuels projetés en temps réel sur des écrans LED via le moteur de rendu Unreal, inauguré sur The Mandalorian. Les personnages humains (Boule, ses parents, son ami Pouf, etc.) seront incarnés en chair et en os, tandis que tous les animaux (Bill, la tortue Caroline, le chat Caporal…) évolueront en images de synthèse et interagiront avec le réel. Le Point Pop a pu voir en exclusivité les premières images des facéties du cocker et le résultat graphique s’avère à la fois charmant et bluffant : à vérifier si les futurs 52 épisodes de 11 minutes, toujours au stade de l’écriture et destinés aux 6-8 ans, sauront renouer avec l’esprit des cases de Roba.
Fruit d’une collaboration entre DEMD (société productrice des séries Joséphine, ange gardien, Tandem, C’est la faute à Rousseau et bien d’autres fictions…) et le label Elliott Studio de Mediawan Kids (filiale d’animation du puissant groupe Mediawan, également propriétaire de DEMD), ce Boule et Bill revu et corrigé sera dévoilé en avant-première ce mercredi 20 septembre au Cartoon Forum de Toulouse (CFT), sous la forme d’une bande-annonce d’une minute et vingt secondes, complétée par plusieurs visuels. Rendez-vous annuel destiné aux professionnels de l’animation européenne (côté séries), le CFT sélectionne à chaque édition environ 75 projets (sur plus de 500 reçus par l’équipe) qui sont, durant les trois jours du salon, « pitchés » par les producteurs aux diffuseurs et distributeurs potentiels venus de tout le continent. Dotée d’une enveloppe prévisionnelle de 9 millions d’euros, la série devra convaincre les acheteurs étrangers pour être définitivement validée (l’international doit assurer plus de la moitié de son budget). Un diffuseur français est d’ores et déjà sur les rangs, même si rien n’est encore signé.
Boule et Bill, les madeleines de Proust
Les producteurs restent quant à eux confiants et enthousiastes : « Je lisais Boule et Bill dans mon enfance et mon lien avec la série s’est réanimé avec le Covid », nous explique Sébastien Pavard, directeur général de DEMD. « Pendant les 72 jours du premier confinement, j’ai redécouvert les albums et je les ai lus tous les soirs à mes enfants. Ce fut un moment fort de transmission et je me suis alors demandé où en étaient les droits de la BD. Il s’avère qu’ils étaient disponibles et nous avons commencé à réfléchir à la façon de faire renaître la marque tout en conservant le charme intemporel, le côté madeleine de Proust de Boule et Bill. Cette idée simple d’une comédie autour d’un enfant et son chien, qui rassemblerait la famille et susciterait le dialogue. Une philosophie qui est dans notre ADN avec Joséphine, ange gardien ou La Faute à Rousseau. La solution miracle de l’animaction a été trouvée chez nos amis d’Elliott, qui ont littéralement craqué le code pour inventer cette nouvelle version. »
Récent label au sein de Mediawan Kids & Family, piloté par le producteur Cédric Pilot, Elliott Studio développe depuis 2021 plusieurs concepts de séries en prises de vue réelle « à forte ambition visuelle », n’hésitant pas à hybrider animation et fiction. Ces séries sont à destination des 6-12 ans mais visent aussi une cible familiale. De tous les développements d’Elliott Studio, Boule et Bill, en étant le premier mis en avant, en devient de facto le vaisseau mère. « Une de nos inspirations graphiques pour Boule et Bill est la série de films Scoubidou des années 2000 qui mixait à des héros de chair et d’os l’icône canine de toute une génération, en animation 3D. Les univers esthétiques de ces films ont poussé le réel vers des choix graphiquement très colorés et vibrants, à la manière de la série Les Désastreuses aventures des orphelins Baudelaire produites par Barry Sonnenfeld, ou la très pop et acidulée série Pushing Daisies », confie Cédric Pilot. « Boule et Bill est une vraie série post-Covid, l’action se déroulera principalement en plein air, dans un quartier pavillonnaire évoquant le Wisteria Lane de Desperate Housewives. Pour coller au plus près de la complicité entre l’enfant et ce chien délirant inventé par Roba, l’hybridation entre le live et le dessin animé nous a semblé être la voie idéale. »
Maman active, père au foyer
Créée en pleine France gaullienne, la BD a forcément dû être un poil brossée pour le jeune public des années 2020, sous la férule du scénariste Cyril Deydier : « Chez Roba, la maman était femme au foyer, le papa travaillait. Dans notre série, la mère de Boule est active dans une grande société sans que l’on sache vraiment en quoi consiste son travail – un peu comme Chandler dans Friends. Le père traverse une sorte de crise de la quarantaine et cherche tous les moyens pour se réinventer… tout en restant à domicile. L’action ne se déroule pas dans les années 1960 mais à notre époque, ce qui ne nous empêchera pas de piocher dans les innombrables gags des albums existants », résume Cédric Pilot.
Aux yeux de l’éditeur Dargaud, la piste suivie par Elliott et DEMD semble en tout cas la bonne : « La grande invention de Roba avec Boule et Bill a été de créer cette petite musique du bonheur quotidien et nous avons retrouvé cet esprit avec les premières images que nous a montrées Cédric Pilot. C’est à la fois intemporel, moderne et pop, nous sommes ravis », confie Pauline Mermet, directrice éditoriale adjointe chez Dargaud, qui précise au passage que les auteurs actuels de la BD ne participeront pas à l’écriture de la série télé. Également validé par Luce Roba (veuve de Jean, disparu en 2006), le projet n’attend donc plus qu’un maximum de diffuseurs ne fassent patte blanche, pour ensuite entamer un tournage en 2024 (le casting n’a pas encore débuté) et une diffusion en 2026.