Débarquement et imprévus : quand l’armée française se prépare à la « haute intensité »


Publié le 27 févr. 2023 à 15:59

Opération réussie. L’exercice interarmées Orion 23 s’est soldé ce week-end à Sète et Frontignan par un débarquement maîtrisé, aux yeux du général Ozanne, commandant de la sixième brigade légère blindée. Depuis dix jours, l’armée française déroule un exercice militaire conçu dès 2019 et d’une ampleur jamais réalisée depuis 35 ans : Orion.

Dans l’Hérault, certains habitants se sont levés à l’aube dimanche matin, pour observer « les grandes manoeuvres », à savoir le débarquement dans le port de Sète et de Frontignan de quelque 700 hommes et 140 véhicules militaires, en provenance de deux navires porte-hélicoptères amphibies de la Marine Nationale stationnés en Méditerranée, au large de la ville.

La veille, près de Castres, ce sont six avions A400M qui avaient largué hommes et matériels, l’idée étant de prendre en tenaille les milices envoyées par l’Etat « Mercure » pour déstabiliser l’Etat Arnland – en gros l’Occitanie. Opération aéroportée à Castres, amphibie à Sète, il s’agit de déposer le « premier échelon national d’urgence » (une partie des forces armées françaises) par les airs et les mers en terrain hostile.

Un scénario proche de l’invasion de Crimée

Le scénario d’Orion est donc simple et toute ressemblance au réel n’est pas fortuite. « La France, sous mandat de l’ONU, s’engage dans un pays ami pour restaurer sa souveraineté face à un voisin très belliqueux ». Et comme l’exercice est d’ampleur, il mobilise les forces de tous les milieux : marine, armée de l’air, terre, mais aussi cyber, spatial, propagande, etc.

L’objectif pour l’armée est triple, explique le général Ozanne : « Prouver que l’armée française peut mener une opération dite d’entrée en premier » (projeter des forces en zones hostiles avant l’arrivée d’alliés par exemple), qu’elle est capable de diriger une coalition (coordonner des forces étrangères) et qu’elle peut donc être la nation cadre d’une opération alliée et prendre le cas échéant le commandement d’un corps d’armée de l’Otan.

Tout lien avec ce qui se passe en Ukraine est écarté par les militaires, qui soulignent que leur rôle, défendre la France, passe par des entraînements et que l’exercice a été conçu ben avant l’agression russe en Ukraine. 

Néanmoins, l’exercice a bien été poussé par le Général Burkhard, actuel chef d’Etat-major de l’armée (CEMA) dès 2019, en anticipant une montée en puissance des conflits entre puissances égales, loin des guerres « expéditionnaires » auquel la France était entraînée. Quant au scénario d’Orion, il a de fait été calqué sur l’annexion de la Crimée en 2014.

Réagir aux imprévus

A Castres comme à Sète, tout ne s’est pas déroulé à la lettre. « La première victime de la guerre, c’est le plan, plaisante le Général Ozanne. Ce que nous testons, ce sont nos possibilités de nous réarticuler devant l’imprévu ».

Avant le débarquement, les militaires répartis entre les bleus (les gentils) et les rouges (les ennemis) ont d’abord mené un combat aéromaritime pour casser les défenses sol-air et les batteries côtières des ennemis, s’assurer du déminage des mers et des plages, vérifier en clair que les hommes puissent débarquer sans trop de périls majeurs et imminents.

A Castres, les parachutistes devaient saisir une position ennemie. Une opération rendue plus difficile, car la météo n’a pas autorisé les parachutages à l’heure prévue. De même à Sète, la houle et le vent ont obligé le débarquement à se jouer en deux points au lieu de trois sites, et donc à durer plus longtemps que prévu.

« Je suis satisfait néanmoins du débarquement mené dimanche, car les vents étaient forts au large à une quarantaine de noeuds, la houle importante, mais de 4 heures du matin jusqu’à midi, nous avons réussi à débarquer sinon tous les véhicules prévus au moins l’essentiel de la force », résume le général.

Plus que le combat en soi, l’essentiel pour l’Armée est de tester la bonne coordination de chacun, la guerre d’aujourd’hui, de plus en plus numérisée, se jouant comme une immense poupée russe. Les navires, qui transportent les troupes à débarquer, sont eux-mêmes protégés par des frégates et au loin par les chasseurs du porte-avions, tandis que les navires eux-mêmes protègent la phase d’opération du débarquement. Chacun cherche à établir la « bulle de protection » de l’autre.

Un jeu numérique à ciel ouvert

A bord du Tonnerre, le lieutenant de vaisseau Thibault, chargé des liaisons de données tactiques, explique ainsi comment avec la numérisation du champ de bataille, il est important de jongler en permanence avec différents réseaux, radio, satellites, dégradés, etc. pour assurer la meilleure connexion entre le commandement et les troupes. Il loue ainsi les performances de la liaison 22, récemment développée par la France avec d’autres pays de l’Otan, qui, selon lui, représente un gain tactique important.

Posté à terre à côté du dispositif de défense sol-air Crotale des forces rouges, le commandant Renaud, est dépité : « On a perdu, nos systèmes de missiles sol-air ont été mis hors d’état de nuire par les bleus ». Et d’expliquer avoir résisté à des attaques cyber toute la semaine précédant le débarquement amphibie, jusqu’à ce qu’une opération héliportée permette à une unité commando de s’infiltrer près de la batterie de défense sol-air SAMP-T installée dans le massif de Guardiole au-dessus de Sète pour la pirater avec l’ajout d’un implant qui a ensuite perturbé les messages du radar.

« Ils ont saturé le système, une suractivité qui permet de masquer les avions réels et nous a empêchés de les abattre », explique-t-il. Aucun avion n’est évidemment abattu, tout est simulé, mais l’avantage de ce gigantesque jeu de rôle est de se jouer en terrain libre, sur la plage, dans le port, dans la colline.

Après avoir pris position dans Arnland pour l’aider à repousser les milices, l’armée va dérouler la phase 3 de l’exercice, plus orientée sur les négociations diplomatiques, avant de jouer la dernière phase de mi-avril à début mai dans le nord-est de la France, qui simulera un affrontement terrestre de haute intensité.

Faute de réussite diplomatique, Mercure envahira Arnland et il faudra riposter. Même si Orion a été prévu bien avant la guerre d’Ukraine, le message que véhicule l’exercice tombe à pic. « La France peut mener un affrontement multichamps et multimilieux », martèle le général Ozanne.



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