Élections ou pas, le Nigeria va mal




La nation la plus peuplée d’Afrique se rend aux urnes samedi, et le prochain président héritera d’une économie et d’un pays à genoux. Inflation à deux chiffres, salaires misérables, pénuries d’argent liquide et de carburant. À presque tous les égards, les Nigérians sont plus pauvres et moins en sécurité, leur pays est moins intégré à l’économie mondiale et à la scène géopolitique qu’il ne l’était lorsque le président Muhammadu Buhari a pris ses fonctions il y a huit ans, élu sur la promesse d’éradiquer la corruption et de mettre un terme aux attaques de Boko Haram.

Le redressement économique du géant anglophone, pays de 215 millions d’habitants dont 63 % de pauvres, est l’un des grands enjeux du scrutin, avec l’insécurité (rébellion djihadiste, criminalité, revendications séparatistes).

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Les problèmes du Nigeria

Et pourtant, principal producteur d’or noir du continent, le Nigeria possède d’immenses ressources naturelles, notamment en hydrocarbures. Mais la pandémie de Covid-19 et les retombées de la guerre en Ukraine ont mis à genoux son économie, déjà affectée par les violences qui paralysent l’agriculture et le commerce dans de vastes régions du pays.

La moindre dépense est devenue un casse-tête. L’inflation frôle les 22 %, et la monnaie nationale, le naira, ne cesse de dégringoler face au dollar – actuellement 750 nairas pour un dollar au marché noir, contre 200 en 2015. Les Nigérians ont dépensé environ 14 milliards de dollars l’année dernière pour alimenter leurs générateurs afin de compenser un réseau décrépit.

Pour ne rien arranger, le pays est confronté à une grave pénurie de liquidités liée à une récente réforme de la banque centrale, qui a laissé trois mois aux Nigérians pour rendre tous leurs anciens billets, sans remettre en circulation l’équivalent en nouvelles coupures.

Depuis des semaines, la population se démène nuit et jour pour trouver des espèces. Des files d’attente interminables se sont formées devant les banques et les bureaux de change, et beaucoup ont fini par fermer leurs portes, incapables de répondre à la demande. Dans plusieurs grandes villes, de Lagos (sud-ouest) à Benin City (sud) en passant par Kano (nord), l’exaspération généralisée a débouché sur des émeutes.

Dans ce contexte, il faut ajouter l’explosion du prix de l’essence, qui a quasiment doublé (330 nairas le litre contre 165 il y a quelques mois) et se fait rare elle aussi. Dans le passé, le Nigeria pouvait compter sur la production de brut pour compenser la hausse des coûts des subventions, mais les pertes dues au vol de pétrole ont été si importantes que la production a presque diminué de moitié entre le premier trimestre 2020 et septembre dernier.

Selon le Bureau national des statistiques, les investissements directs étrangers dans le secteur pétrolier et gazier du Nigeria n’étaient que de 2,5 millions de dollars au premier semestre de l’année dernière, contre 208 millions de dollars en 2014

Le pays a eu beau renouer avec une croissance positive, à 3 % l’an dernier, la reprise n’a pas permis d’améliorer les conditions de vie de la majorité. Le taux de chômage est d’environ 33 % au niveau national – et atteint même 43 % chez les jeunes. La corruption quasi généralisée a également un effet dissuasif sur les entrepreneurs. Le Nigeria est classé 154e sur 180 dans le dernier indice de perception de la corruption de l’ONG Transparency International.

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Il faudra des réformes chocs pour rétablir la trajectoire du pays

Les favoris en lice pour la présidentielle, deux anciens gouverneurs et un ancien vice-président, vantent tous leur longue expérience en politique et leur sens des affaires, pour faire espérer des lendemains meilleurs à leurs électeurs. Le candidat du parti au pouvoir, le Congrès des progressistes (APC), Bola Ahmed Tinubu, affronte Atiku Abubakar du principal parti d’opposition, le Parti démocratique populaire (PDP) et Peter Obi du Parti travailliste (LP), un outsider dont la popularité croissante auprès des jeunes a pris tout le monde de court.

Mais les analystes restent très pessimistes sur les perspectives économiques à court et moyen terme. « L’environnement opérationnel défavorable au Nigeria, caractérisé entre autres par des pressions inflationnistes et un faible pouvoir d’achat, continuera d’accroître le niveau de pauvreté », estime Sola Oni, du cabinet de conseil Sofunix Investment.

D’après les experts, le prochain dirigeant devra mettre en œuvre des réformes chocs comme la réduction des subventions à l’essence, ou encore la suppression des restrictions à l’importation afin de parvenir à changer la trajectoire du pays.

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Le syndrome du «  japa » (« fuir » en yoruba) se répand

Si rien n’est fait, l’un des phénomènes qui prendra de l’ampleur sera la fuite des élites du pays, à travers « le japa », c’est-à-dire, fuir, « prendre ses jambes à son cou », en langue yoruba. Alors que le Nigeria est l’un des pays les plus dynamiques du continent africain grâce à sa jeunesse qui excelle dans les nouvelles technologies et les industries créatives, la grave crise économique, la corruption et l’insécurité poussent nombre de Nigérians appartenant à la classe moyenne à vouloir quitter leur pays dans l’espoir de trouver un avenir meilleur en Europe ou en Amérique du Nord.

Selon l’ONU, le nombre de migrants internationaux en provenance du Nigeria en 2020 était de 1,7 million, contre 990 000 dix ans plus tôt. Le mouvement « japa » – né dans les années 1970 au milieu des coups d’État et de la crise économique – connaît une nouvelle vague, depuis deux ans, après la répression sanglante en octobre 2020 d’un mouvement contre les violences policières, qui a traumatisé une partie de la population, notamment les jeunes. Aujourd’hui, demander à un Nigérian « quels sont ses projets de japa ? » est devenu une formule aussi courante que de lui poser des questions sur son travail ou sa santé.

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