enfin un bon film de super-héros !


CRITIQUE. Entre tradition et ultra-modernité, ce premier long-métrage d’animation consacré au justicier, sorti en 2018 et diffusé ce soir sur TMC, rebat spectaculairement les cartes.








Par Philippe Guedj


Spider-Man : New Generation (titre original : Spider-Man : into the Spider-Verse), de Bob Persichetti, Peter Ramsey et Rodney Rothman
Spider-Man : New Generation (titre original : Spider-Man : into the Spider-Verse), de Bob Persichetti, Peter Ramsey et Rodney Rothman © Sony Pictures

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Il aura donc fallu un dessin animé pour que l’Araignée retrouve le fil. Avec New Generation, c’est un nouveau lien, solide et vibrant, qui se voit tissé entre les anciens et nouveaux fans de Spider-Man. Entre le passé, le présent et le futur du plus mythique des super-héros Marvel. Depuis le poignant Spider-Man 2 en 2004, ni sa suite ratée en 2007, ni le médiocre diptyque-reboot The Amazing Spider-Man 1 & 2 en 2012 et 2014, ni le plan-plan Spider-Man : Homecoming n’avaient su renouer avec l’essence du « monte-en-l’air » imaginé en 1962 par Stan Lee et Steve Ditko.

En presque deux heures, Spider-Man : New Generation corrige spectaculairement le tir et nous retourne littéralement la tête. Ce n’est pas un film, c’est un manifeste artistique. Une promesse d’avenir. La flamboyante déclaration qu’une prise de risque narrative et graphique maximale peut produire le meilleur, à savoir la renaissance d’une icône sous une forme entièrement rénovée sans jamais trahir son ADN. Certes, l’animation se prêtait certainement davantage à l’expérimentation qu’une production en chair et en os, mais, tout de même, quel panache dans la réussite  !

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Produit et supervisé par Phil Lord et Chris Miller, les deux ludions coréalisateurs de La Grande Aventure Lego, New Generation (titre « français » de Spider-Man : into the Spider-Verse) innove à tous les niveaux. Tout d’abord en choisissant enfin Miles Morales comme personnage principal du récit plutôt que le sempiternel Peter Parker. Créé en 2011 par Brian Michael Bendis et Sara Pichelli dans la minisérie Ultimate Comics : Fallout (qui se déroule dans une réalité parallèle à celle du Spider-Man classique), Morales est un lycéen afro-latino-américain new-yorkais héritant à son tour des pouvoirs du tisseur de toile et qui succède à Peter Parker sous le masque, lorsque celui-ci est assassiné. Symbole des espoirs d’un nouvel élan de diversité dans l’Amérique d’Obama, Morales est rapidement devenu l’une des nouvelles têtes les plus populaires du bestiaire Marvel, et de nombreux fans trépignaient de le voir un jour faire l’objet d’une aventure au cinéma (il avait déjà fait une apparition en 2015 dans la série animée Ultimate Spider-Man).

L’union des Spider-Man

New Generation saute le pas et, comme dans les comics, le film explore la rencontre de Miles avec cinq autres avatars alternatifs de Spider-Man : celui que nous connaissons tous (mais en version loser vieillissant et bedonnant) ; l’héroïne Spider-Gwen ; le parodique et cartoonesque Spider-Cochon ; Spider-Man Noir (version du héros située dans les années 30, cocréée par le Français Fabrice Sapolsky) ; et enfin Peni Parker et son robot-araignée (personnages de manga apparus dans le comic book Edge of Spider-Verse en 2014). Tous vont s’unir pour faire face au tout-puissant Caïd, qui pourrait bien détruire New York avec un superbidule accélérateur de particules.

C’est une permanente impression de fraîcheur.

Sur le papier, un tel synopsis pouvait faire craindre le pire. Divine surprise ! La grande force de New Generation est d’assumer totalement les déclinaisons jusqu’à l’absurde du bon vieux Spider-Man et de fusionner leur style graphique dans une même réalité cohérente. Scénaristiquement, c’est brillant. Sans jamais perdre de vue Miles Morales et son parcours torturé vers l’acceptation de son destin, ni l’évolution émouvante de sa relation au père, le récit prend le contrepied exact de tous les films : Spider-Man n’est pas un individu mais une fonction. Comme le roi, il a deux corps et, sous le masque, d’autres héritiers de ses valeurs peuvent porter le flambeau (bon, OK, à condition d’être piqué par une araignée radioactive).

Une esthétique rétro-moderne

Experts de la référence méta-pop-culturelle, Lord et Miller multiplient en rafale les clins d’œil au mythe Spider-Man dans une hilarante introduction narrée en voix off par Peter Parker. En quelques minutes, le parcours du personnage à l’écran est résumé par une poignée de plans iconiques des films de Sam Raimi, à l’évidence davantage appréciés par les auteurs. Malgré une fidélité aux grandes lignes fondamentales du héros (l’adolescence, la piqûre par une araignée radioactive, un drame familial, les responsabilités…), c’est une permanente impression de fraîcheur et de nouveauté qui habite ce film en ébullition, étourdissant de beauté visuelle.

C’est l’autre grande innovation portée par New Generation à côté de sa narration : son esthétique rétro-moderne, combinant les effets de trame et de flou des cases des comics imprimés à l’ancienne, avec une explosion de couleurs et une mise en scène vertigineuse, fusionnant les arts du comic book, du « cartoon » et même du manga.

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New York n’a jamais semblé aussi belle dans un Spider-Man, la caméra renoue avec la virtuosité des années Raimi et certains plans de voltige donnent littéralement le tournis. Là encore, les trois réalisateurs de New Generation ont fait le pari de fusionner le moderne et l’ancien pour créer un nouveau souffle graphique révolutionnaire, parvenant même à éclipser Pixar sur le front de l’audace graphique. Parfois même trop bouillonnant de détails et de mouvement, œuvre boulimique, New Generation aurait peut-être gagné à raccourcir un brin son métrage (117 mn, c’est long pour un dessin animé) et va tellement loin dans l’expérimental qu’il pourrait presque s’aliéner une partie de sa cible familiale. Mais, après de nombreuses années d’impuissance d’Hollywood à rendre de nouveau justice au super-héros arachnéen, on ressort de New Generation habité par une immense gratitude pour ses instigateurs qui ont véritablement réussi une authentique toile de maître. Et accessoirement, haut la main, le meilleur film de superhéros de l’année.

PS : restez bien jusqu’au générique de fin, ce serait trop bête de rater la meilleure (et la plus drôle) de toutes les séquences post-générique de films de superhéros.

Spider-Man : New Generation, de Bob Persichetti, Peter Ramsey et Rodney Rothman (117 min). En salle le 12 décembre 2018.




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