Fortes chaleurs : comment les villes cherchent à se végétaliser 




Avec 300 000 arbres, la métropole de Lyon compte bien faire de son « plan Nature » le plus ambitieux de France. Elle supplante même la ville de Paris qui s’est engagée à planter 170 000 arbres d’ici à 2026. Plans « canopée », « verdissement » ou « biodiversité »… Les arbres sont devenus un symbole pour les collectivités, d’abord pour « verdir » leur image, mais aussi pour en tirer des bienfaits.

Grâce à l’évapotranspiration, les arbres et arbustes permettent en effet de lutter contre les îlots de chaleur, ces zones urbaines dont la température est significativement plus élevée que celle des zones rurales. Des écarts de température qui peuvent aller de 2 degrés à 12 degrés selon les régions. En améliorant la qualité de l’air, en rafraîchissant l’air ambiant par transpiration de l’eau fraîche du sol, depuis les racines vers les feuilles, ces climatiseurs naturels sont essentiels dans le contexte des vagues de chaleur estivales annoncées.

« Les services éco-systémiques de la végétation en ville participant à l’amélioration des conditions de vie des citadins ne sont plus à prouver, rappelait Philippe Clergeau lors d’une récente conférence de l’Académie d’agriculture consacrée au sujet. Mais la France doit rattraper son retard en matière de recherche sur les forêts urbaines et travailler sur les espèces adaptées. » Le professeur au Muséum d’histoire naturelle rappelle que « les arbres subissent eux-mêmes des conditions stressantes menaçant leur survie ou leur fonctionnement ».

Selon une étude parue en septembre 2022 dans la revue Nature Climate Change, d’ici à 2050, 71 % des espèces d’arbres seraient en situation de risque dans les grandes villes. Entre 56 et 65 % seraient déjà menacées, « soit parce que les températures de certaines villes dépassent déjà la limite supérieure tolérable par l’espèce, soit parce que le niveau des précipitations actuelles de certaines villes est déjà en deçà de la limite inférieure tolérable par l’espèce », expliquent ses auteurs.

« Réduire de 2 °C à 7 °C la température ressentie »

« Les arbres vivent actuellement à la limite de ce qu’ils peuvent supporter et, avec le changement climatique, cette limite risque d’être rapidement dépassée, explique Bastien Castagneyrol, écologue et chargé de recherche à l’Inrae. Il faut aller vers une acceptation de leur vulnérabilité, car certains ne pourront pas se maintenir, ce qui signifie anticiper des stratégies de renouvellement des forêts urbaines. » Plus de mille espèces, dont nos frênes, chênes, peupliers, ormes, tilleuls, marronniers et pins, sont fragilisées. En France, les villes de Paris, Bordeaux, Montpellier, Grenoble et Lyon sont particulièrement concernées. Elles sont aussi parmi les plus engagées dans la végétalisation.

À LIRE AUSSIPr Qing Li : « Les douches de forêt font ralentir le rythme cardiaque »Alors que faire ? Les remplacer, par quelles essences ? « Couper des arbres adultes pour planter des tiges moins efficaces pose question », note Bastien Castagneyrol. La complexité réside dans la sélection d’espèces adaptées à la chaleur et à la sécheresse. Dans certaines villes, comme à Tours, deux écoles s’affrontent : d’un côté, intégrer de nouvelles espèces exotiques ; de l’autre, protéger les espèces locales.

À Montpellier, qui s’est dotée d’une charte de l’arbre, la municipalité opte pour un entre-deux : la plantation, en plein centre-ville, de grands ormes de 7 mètres et d’arbres et arbustes d’essences méditerranéennes et locales. En parallèle, sur toute la ville, des centaines de platanes sont abattus car touchés par le chancre coloré. « L’effet cumulé de la désimperméabilisation des sols, de la plantation d’arbres supplémentaires et de l’augmentation de la présence de l’eau devrait permettre de réduire de 2 °C à 7 °C la température ressentie sur la place de la Comédie et l’Esplanade », annonce la ville. Indispensable dans l’une des villes les plus chaudes de France.

À LIRE AUSSIL’épicéa, le roi nu« Nous souhaitons adapter l’arbre aux conditions écologiques d’un site plutôt que nous soumettre uniquement aux questions d’esthétique », explique quant à lui Frédéric Ségur. Le responsable de l’unité Arbre et Paysage de la métropole de Lyon, qui souligne l’enjeu majeur de production en pépinière. « Les essences intéressantes ne sont pas encore produites à échelle suffisante ou sont issues de clonage, qui ne prend pas en compte la diversification des espèces. »

Cette question de la diversité est au cœur des problématiques. « Si on remplace tous les platanes par les micocouliers, on reproduira le même problème d’insectes. La dispersion des arbres dans l’espace urbain permettrait de minimiser les risques », ajoute Bastien Castagneyrol. « Il faudrait pouvoir planter partout et pas simplement sur les espaces publics. Un équilibre public-privé à trouver », complète Frédéric Ségur.

« Le retour des arbres fruitiers »

À Paris, jugée en retard par rapport à d’autres grandes métropoles, « un enrichissement est à envisager », estime quant à lui Serge Muller, professeur émérite au Muséum d’histoire naturelle. Dans le cadre du projet de création d’une forêt urbaine place de Catalogne (14e arrondissement), il a proposé de constituer une forêt de type subméditerranéen. « Sur le même principe pourraient être créées, dans la capitale et dans d’autres villes, sur des surfaces de quelques milliers de mètres carrés, des forêts tempérées de type américain ou asiatique, voire de l’hémisphère sud, permettant au public de bénéficier, sans se déplacer, d’un premier aperçu des communautés d’arbres de ces régions. »

Autre atout d’un maillage : permettre une équité dans la répartition, ne réservant plus, comme au XVIIIe siècle, les forêts aux « beaux quartiers », et une connexion entre les arbres eux-mêmes. Des liens sont même établis aujourd’hui entre santé des arbres et santé humaine. « Les composés volatiles émis par les arbres interagissent directement avec les composantes de l’atmosphère. Ces molécules ont un impact sur l’oxyde d’azote ou l’ozone en fonction de plusieurs paramètres. L’eucalyptus est très émettrice », explique le chargé de recherche.

À LIRE AUSSIPeter Wohlleben, l’homme qui veut laisser pousser les arbresLa forêt urbaine de demain serait donc plus diverse et diffuse… « On se dirige vers des plantations en bacs, solution qui permet de changer d’essences plusieurs fois dans l’année, en réduisant les déservices des arbres », esquisse Jean-Louis Yengue, géographe à l’université de Poitiers. Allergies, balayages, fissures dans les maisons, sur la voie publique… Une offre végétale variée sur l’année, c’est des allergisants diminués, un gain de fleurs pour les abeilles, avec un impact non négligeable sur la pénibilité du travail.

« L’agriculture urbaine, pour joindre l’utile à l’agréable, marquera peut-être le retour des arbres fruitiers, des plants de tomates, du maraîchage, se projette le géographe. L’arbre aura une place différente, moins dense, mais utile. » Selon l’OMS, il faut entre 10 et 15 mètres carrés d’espaces verts par habitant pour garantir la santé et le bien-être des citadins.




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