Jean-Christophe Cambadélis : « Le Parti socialiste est en grande souffrance »




Soutien d’Hélène Geoffroy, l’opposante historique d’Olivier Faure, l’ex-premier secrétaire du PS Jean-Christophe Cambadélis était aux premières loges du double vote organisé, les 12 et 19 janvier, pour désigner le nouveau patron du parti. Après un second décompte des voix, Olivier Faure, premier secrétaire sortant, a été confirmé vainqueur du vote des adhérents. Pour Le Point, Jean-Christophe Cambadélis évoque les conséquences du vote au sein d’un parti « coupé en deux », mais aussi de la Nupes, qu’il combat.

Le Point : Au bout d’un congrès chaotique, le Parti socialiste se retrouve avec deux vainqueurs déclarés pour un poste. Comment l’expliquer ?

Jean-Christophe Cambadélis : Le PS est en grande souffrance. Et les militants le sont tout autant. Le traumatisme de la déroute en 2017 n’a pas été surmonté. Deux orientations stratégiques se font face. Faut-il continuer dans la Nupes ou se refonder pour reformuler l’union ? Mais il n’y a pas de majorité pour surmonter cette nouvelle crise, qui porte atteinte à la légitimité du PS. La direction sortante a tardé à créer les conditions d’une renaissance. Elle a pensé gagner du temps en trouvant des substituts provisoires comme Glucksmann, Jadot, Taubira et maintenant, Mélenchon. Mais ce dernier n’est pas au mieux de sa forme. La Nupes est contestée partout. Les législatives sont loin. Alors, une faible mais réelle majorité, comme l’attestent les résultats du vote des motions, a voulu autre chose, autrement. Dans un PS réduit à moins de 20 000 votants, Olivier Faure a reconnu ne pas avoir la majorité absolue sur les motions d’orientation, alors que l’alliance Nicolas Mayer-Rossignol et Hélène Geoffroy représentait plus de 50 %. Cet état de fait s’est retrouvé dans le vote du premier secrétaire. Le refus de tenir une commission pour valider et annoncer les résultats a fait le reste. C’est la sécession.

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Quelle peut -être la voie de sortie ?

Il faut d’abord lever le nez, regarder le monde et les défis posés à la France, et penser d’abord aux Français. Puis revenir à la question qui ordonne le tout : quelles réponses aux crises conjointes ? Comment refonder une gauche responsable qui offre des solutions aux Français ? Comment bâtir un nouveau cycle politique, une nouvelle doctrine, de nouvelles réponses, une nouvelle stratégie, une nouvelle organisation ? Bref, toutes les questions que les socialistes se sont posées, après être passés à travers 68 pour créer le nouveau Parti socialiste en 1971 avec Mitterrand. C’est ce à quoi nous réfléchissons et travaillons avec mes amis du Laboratoire de la social-démocratie (Le LAB). Nous voulons réunir, coordonner, fédérer les sociaux-démocrates de toutes les rives pour, avec tout ou une partie du PS, préparer des assises d’un nouvel Épinay.

Je crains le pire au congrès de Marseille.

Mais le PS est dans un piteux état…

Il me semble que personne n’est prêt à accepter un coup de force. Alors, la question est simple : les deux blocs ont-ils encore envie de faire « parti commun » ? Si oui, il y a toujours des solutions, même si cet épisode a dramatiquement abîmé le PS. Si c’est non, eh bien, les deux camps vont se séparer. Nous n’en sommes pas là, mais on s’en rapproche. Je crains le pire au congrès de Marseille. Tout cela aura des conséquences sur la gauche, car tout le monde a compris que l’alliance avec Mélenchon visait au bout à préparer un candidat unique de la Nupes à la présidentielle.

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Mais vous qui souteniez Hélène Geoffroy, vous n’êtes pas déçu par sa défaite ?

Sans Hélène Geoffroy, Nicolas Mayer-Rossignol ne pouvait espérer l’emporter. Et sans Nicolas Mayer-Rossignol, Hélène Geoffroy ne pouvait penser battre la direction sortante. Par son courage et sa détermination tranquille, Hélène Geoffroy a ouvert le chemin de la mise en ballottage de la direction. Elle est à la tête d’un vrai courant cohérent social-démocrate dont on reparlera. Elle est maintenant incontournable. Ce n’est pas une minorité de blocage, mais une minorité de déblocage de la crise du Parti socialiste. Elle a évité la fuite des militants hostiles à la Nupes autre part, même si une partie de ses soutiens ont estimé que la tâche était impossible. Nicolas Mayer-Rossignol, par son talent, a incarné une alternative à la majorité « fauriste », soutenu par Michaël Delafosse, Carole Delga, Anne Hidalgo et Patrick Kanner. Enfin, Olivier Faure a perdu la majorité, principalement à cause de ce qu’est devenue la Nupes.

Vous avez été un des premiers à vous prononcer contre la Nupes. L’union n’est donc pas pour vous indispensable, même avec un PS affaibli ?

Toute ma vie, j’ai milité pour l’union à gauche. Je suis pour l’union, mais pas pour cette union. Tout simplement parce qu’elle n’est pas gagnante. Elle est datée et ne répond pas aux besoins des Français d’aujourd’hui, dans la France d’aujourd’hui. C’est l’essentiel. Ensuite, elle mutile l’autonomie des formations qui la compose, tout en les marginalisant. Elle est réduite à un accord parlementaire où La France insoumise donne le ton et le rythme, dans une opposition frontale aussi tonitruante qu’effrénée. Nous l’avons vu dans le pataquès sur le vote de la motion de censure, mêlant les voix de la gauche et celle du RN. Heureusement, le PS puis le PCF et les écologistes n’ont pas continué dans cette voie.

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Mais qu’aurait dû faire Olivier Faure ?

D’abord, se convaincre que l’électorat de gauche n’était pas tout à coup « mélenchonisé ». Une partie de la gauche électorale est à nouveau partie chez Macron, face à la montée du RN ; une autre partie s’est abstenue ; une partie majoritaire a fait le choix du vote utile. Il n’y avait pas de cristallisation « LFIste » dans l’électorat de gauche, au-delà de ce qu’elle représente. Ensuite, faire partager cet état d’esprit au PCF qui ne demandait que cela, et aux écologistes qui n’en étaient pas loin. Mais nous avons fait l’inverse. Nous avons dit : il faut sauver les meubles et nous avons commencé par une réunion secrète avec Mélenchon. Nous n’avons pas appliqué le défi du faible au fort. Sans le Parti socialiste, le coup de Mélenchon (« élisez-moi Premier ministre ») tombait à l’eau et, par voie de conséquence, le vote utile en faveur de LFI. Mélenchon le savait. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il avait lancé cette manœuvre. Il aurait cédé, l’union aurait été plus recentrée politiquement et équilibrée en termes de députés. Là, on a tout lâché. Mais bon, on ne pleure pas sur le lait renversé. C’est de l’histoire passée. Mais maintenant, on ne peut maintenir la Nupes en l’état. Tout le monde le dit, le PCF, les écologistes, etc. Et LFI ne peut s’y opposer. Mais cette hypothétique renégociation ne peut se faire tant que le PS n’aura pas fait sa mue réformiste et lancé un nouveau cours à gauche.

Mais n’y a-t-il pas une demande de radicalité dans la société française, et particulièrement à gauche ?

En êtes-vous si sûr ? Je crois qu’il y a une demande de solutions et de résultats. On confond la gauche militante qui, en effet, s’est radicalisée depuis 2016 et la gauche électorale qui s’exaspère de l’absence de solution praticable.

Les amis de Mélenchon ont tôt fait de le mettre sur une étagère pour la suite.

Le mouvement contre la réforme des retraites n’arrive-t-il pas à point nommé pour aider le PS à s’imposer à nouveau ?

Le but du mouvement, c’est d’obtenir le retrait de cette mesure d’âge injuste, sans trop de casse et de blocages pour le pays et les Français. Cela étant, il faut savoir se fondre dans l’union tout en s’en distinguant. On ne risque pas de s’imposer à nouveau, en défendant, comme le dit maintenant Olivier Faure, la retraite à 60 ans de LFI. Alors qu’il disait il y a peu qu’elle coûterait tellement cher qu’elle absorberait toutes les dépenses sociales. La CFDT est dans l’union syndicale en n’étant pas pour la retraite à 60 ans. On ne nous demande pas de faire du zèle pour suivre les autres sur une mesure à laquelle on ne croit pas.

LFI est affaiblie par l’affaire Quatennens. Le PS ne peut-il pas en profiter ?

Une gifle à son épouse n’est pas acceptable. Une fois jugé, Quatennens aurait dû démissionner, quitte à se représenter. La ligne de la banalisation de la gifle ne pouvait et ne pourra pas passer. Et le temps ne fait rien à l’affaire. En avril, lors de son retour dans le groupe, Adrien Quatennens va être la victime expiatoire des violences faites aux femmes. Et la crise, un peu contenue par le combat contre la réforme des retraites, repartira de plus belle. Mélenchon a cru qu’il avait plié le match à gauche et imposé la domination sans partage du populisme de gauche sur cette dernière. Dans le même temps, il a pensé qu’en étant au-dessus, il serait au-devant. Il ne s’est pas représenté à la députation. La politique a horreur du vide. Et ses amis ont tôt fait de le mettre sur une étagère pour la suite. Il reprend les choses en main en « bompardisant » la direction. Ce n’est peut-être pas le moment d’être suiviste en espérant être reconnu ou adoubé par LFI. Il faut s’occuper du nouveau PS et demander fermement la reformulation de l’union au lendemain du mouvement sur les retraites.

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