Jeux d’argent : les casinos et les maires montent au créneau sur la « loi Sorare »
Publié le 19 sept. 2023 à 19:03
S’il est désormais établi que le Web3 va bousculer le modèle traditionnel des Jeux d’argent, beaucoup d’acteurs craignent de figurer parmi les dégâts collatéraux. Et s’inquiètent du projet gouvernemental visant à instaurer des règles spécifiques pour encadrer les Jonum (pour Jeux à objets numériques monétisables), dont Sorare apparaît comme le fer de lance.
Ce nouveau cadre fait notamment craindre un contournement par de nouveaux acteurs qui, en offrant des gains en NFT, pourraient proposer des jeux d’argent sans en subir les contraintes. Voire une offre de casino en ligne, pourtant interdite en France.
« Porte d’entrée » pour les casinos illégaux
De quoi faire bondir les casinos « terrestres », qui poussent depuis des années pour une offre légale et strictement régulée, sur le principe du jumelage (seul un établissement terrestre peut opérer en ligne). Les deux syndicats professionnels de la filière se sont émus lundi de ne pas avoir été entendus par la commission spéciale de l’Assemblée, qui examine actuellement le texte.
Rappelant que la filière « est la seule à ne pas pouvoir proposer son offre en version digitale », ils estiment que « les Jonum représentent une porte d’entrée sur le marché national pour les opérateurs de casinos en ligne illégaux qui prolifèrent ces dernières années ». Selon le dernier baromètre de l’association française des jeux en ligne (Afjel), leur poids atteindrait déjà 1,6 milliard d’euros, soit plus que les paris sportifs (1,4 milliard).
Les élus locaux montent au créneau
De nombreux élus locaux sont également montés au créneau, inquiets des potentiels effets négatifs sur l’activité des casinos, qui leur assurent des ressources fiscales conséquentes. Un courrier, signé par les élus des territoires touristiques (Anett), du littoral (Anel), des communes thermales (ANMCT) et par l’Association des maires de France (AMF), a été envoyé mardi à Emmanuel Macron pour réclamer une réécriture du texte. Mais aussi pour rappeler que les casinos génèrent chaque année « près de 400 millions d’euros de recettes pour leurs collectivités » et 1,5 milliard de recettes fiscales pour l’Etat.
« Le portefeuille des joueurs n’est pas extensible, et avec des casinos en ligne sans jumelage, c’est 30 % de recettes en moins », estime Philippe Sueur, maire d’Enghien Les bains et président de l’Anett. « Les casinos sont la principale ressource de nos investissements touristiques. Sans eux, il n’y aurait pas de palais des congrès à Deauville, ni de reconstruction des établissements thermaux à Enghien ».
Pouvoir renforcé pour l’ANJ
Niché au coeur du projet de loi visant à réguler et sécuriser l’espace numérique (SREN), le texte a aussi fait l’objet de plusieurs dizaines d’amendements, déposés par l’ensemble des bords politiques (hors RN). Certains proposant de retirer le texte, d’autres de classer les Jonum parmi les jeux d’argent, d’autres encore légaliser le casino en ligne. Mais peu d’entre eux devraient aboutir.
Si les casinos mènent la fronde, le projet Jonum fait également froncer quelques sourcils parmi les autres acteurs traditionnels. Parmi les points de vigilance figurent la protection des mineurs et la lutte contre le blanchiment, dont les contraintes avaient été assouplies dans une première version du texte. Sur ces deux points, le gouvernement semble avoir revu sa copie. Selon la dernière version, consultée par « Les Echos », l’identité des joueurs sera bien contrôlée, et l’Autorité nationale des Jeux (ANJ) verra ses pouvoirs renforcés.
Flou autour de la fiscalité
Pour d’autres sujets, le flou persiste. C’est le cas de la future fiscalité des Jonum, non mentionnée dans le texte, et susceptible d’être renvoyée au Projet de loi de finances. Or le secteur des jeux d’argent, lourdement taxé, voit d’un mauvais oeil l’éventualité d’une fiscalité se limitant à la TVA pour le Web3.
C’est également vrai pour le type de récompense autorisé : accédant à une revendication des entreprises du Web3, le projet de loi pourrait autoriser les gains en cryptomonnaies. « Ce serait incompréhensible, je ne vois pas comment on pourrait considérer que ce ne sont pas des Jeux d’argent », s’exclame un bon connaisseur du secteur.
Cette mesure pourrait d’ailleurs provoquer une levée de boucliers parmi les opérateurs de paris en ligne, ou la Française des Jeux. Quant à l’ANJ, si elle se dit « globalement satisfaite de l’équilibre proposé par le texte », elle veillera « à ce que le développement du secteur des Jonum n’empiète pas sur celui des jeux d’argent. De ce point de vue, la possibilité de payer en cryptomonnaie prévue par le projet de loi pose question. Par ailleurs, l’ANJ devra disposer des moyens nécessaires à la réussite de sa mission compte tenu de la complexité et du caractère novateur de ce sujet. »