Joe Biden est-il trop vieux ?




Il ne s’agit même plus d’un « éléphant au milieu de la pièce », comme on dit en anglais pour désigner un problème évident aux yeux de tous, mais dont personne n’ose parler. Cela fait des mois, bien avant l’annonce de la candidature de Joe Biden à la présidentielle de 2024, que l’âge du président et sa capacité à accomplir un deuxième mandat occupent les conversations du pays. Dans les médias, c’est devenu un thème récurrent, qui occupe les gros titres.

Sans surprise, le Wall Street Journal, conservateur (et propriété de Rupert Murdoch, le magnat des médias d’origine australienne, qui possède aussi Fox News) s’oppose sans ambiguïté à une nouvelle candidature du président actuel. Le titre de son éditorial de vendredi est tout simplement : « L’erreur d’un deuxième mandat de Biden ». Il rappelle que la majorité des Américains, et même les démocrates, ne souhaitent pas qu’il se représente. « Le public comprend ce que M. Biden, apparemment, refuse d’admettre : élire un octogénaire en déclin évident, pour quatre ans de plus, pourrait être une erreur historique. » Joe Biden a mis en avant le fait qu’il était le seul de son camp à pouvoir battre Donald Trump.

Mais il y a probablement aussi une raison bien plus terre à terre et humaine, à son désir de se représenter : « La possibilité d’actionner les leviers du pouvoir est enivrante ». Et cette faiblesse est tout simplement, selon le journal conservateur qui estime que Biden a été tiré vers la gauche par ses conseillers, « à la limite de l’égoïsme ». Pourrait-il, demande l’éditorial, « décrocher le téléphone à 3 heures du matin » en cas de crise internationale, comme l’avait promis Hillary Clinton lors de sa campagne de 2008 ? Et qu’en déduiraient les dirigeants du reste du monde, quand ils voudraient jauger le pays ?

Le « New York Times » circonspect

Plus significatif encore, le New York Times, pourtant connu pour être démocrate, est aussi circonspect. « Biden ne devrait pas prendre les inquiétudes des électeurs sur son âge à la légère », est le titre de son éditorial de vendredi dernier. Selon un récent sondage d’Associated Press, seuls 47 % des démocrates veulent qu’il se représente. Et selon le dernier sondage de NBC News, de ce mois-ci, c’est le cas pour 70 % des Américains. Parmi eux, 48 % avancent l’âge comme la raison majeure de leur réponse. « C’est peut-être injuste – chacun vieillit différemment – et dans le cas de M. Biden, il est impossible de nier que la politique et les théories du complot, plus que les faits, ont nourri un peu de ces inquiétudes, nuance, avec diplomatie, le New York Times.

Mais les candidats ne devraient pas prétendre, comme M. Biden le fait souvent, que le grand âge n’est pas un sujet. » Il est vrai que les bulletins de santé du président sont réguliers et publics. Dans le dernier, daté du 16 février 2023, le médecin conclut : « Le président Biden demeure un homme de 80 ans en bonne santé et vigoureux, qui est apte à exécuter correctement les fonctions de la présidence, y compris celles de chef exécutif, chef de l’État et commandant en chef.  » Mais il n’évoque jamais sa santé mentale. Certes, Biden fait du sport cinq fois par semaine, la plupart du temps avec un entraîneur. Une étude publiée par des spécialistes de la longévité dans le Journal on Active Aging, de l’université de Chicago, dans l’Illinois, avait conclu, à la veille de l’élection présidentielle de 2020, que Joe Biden et Donald Trump étaient tous deux des « super-agers ».

Ils appartenaient à « un groupe de gens qui conservent leurs fonctions mentales et physiques, et ont tendance à vivre, plus longtemps que les personnes de leur âge en moyenne » (la probabilité de survie dans les quatre ans était estimée à 95,2 % pour Joe Biden, contre 82,2 % pour les autres hommes de son âge et 90,3 %, contre 86,2 %, pour Donald Trump, obèse et dont la famille montre un risque élevé d’Alzheimer). Mais quand bien même Joe Biden serait-il en pleine forme aujourd’hui, cela ne dit rien de sa situation dans deux, voire cinq ans. « Les inquiétudes sur l’âge – à la fois en termes de capacité à remplir la fonction et de risque d’être en décalage par rapport à l’époque- sont légitimes », soutient le New York Times. Interrogé à ce sujet sur ABC News, Biden avait répondu : « La seule chose que je peux dire, c’est « Regardez-moi (à l’œuvre) » »

Or les occasions ont été plutôt rares, car les interactions directes de Biden avec les caméras sont limitées. Et ses apparitions en public ne sont pas forcément rassurantes. Certes, la solidité de sa performance lors de son discours sur l’état de l’union, le 7 février, qui a duré 1 heure 13, a rassuré ses partisans-mais le fait même que les articles et experts aient souligné cet aspect prouve qu’ils étaient inquiets. Quinze jours plus tard, il s’est rendu à Kiev en guerre, en enchaînant un vol et un trajet en train. Mais en juillet 2022, des interviews menées dans son entourage par le New York Times révélaient que, même s’il restait affûté intellectuellement, questionnant ses conseillers, récrivant des discours, « son énergie, même impressionnante pour un homme de son âge, n’était plus ce qu’elle était ».

Sa démarche est moins assurée, il traîne parfois des pieds, créant dans son entourage l’angoisse qu’il ne trébuche. Il est difficile de savoir, dans son élocution, ce qui relève des résurgences d’un bégaiement combattu dans l’enfance, des gaffes pour lesquelles il a toujours été célèbre, et d’absences passagères. Ce qui est sûr, c’est que chaque bévue fait le bonheur des militants conservateurs, qui font tourner les vidéos sur les réseaux sociaux, qu’il s’agisse d’une marche ratée sur une passerelle d’avion, d’une chute de vélo, d’un instant, à la fin d’un discours, où il semble perdu sur la scène, ou de phrases incompréhensibles.

Certaines ne sont que des gaffes gênantes. Il a fait référence à la « présidente Harris » (sa vice-présidente Kamala Harris), en mars 2021. « Où est Jackie ? », demandait-il le 28 septembre dernier lors d’une conférence à la Maison-Blanche, tout en cherchant des yeux Jackie Walorski, élue de l’Indiana, morte huit semaines auparavant. Il a aussi dit que son épouse Jill Biden, avait été vice-présidente d’Obama. Début février, il s’est vanté que « la moitié des femmes » de son gouvernement étaient « des femmes ». En février 2022, lors d’une conférence à la Maison-Blanche, il a semblé lire les instructions du prompteur : « Il faut noter que le pourcentage des femmes qui s’inscrivent sur les listes électorales est systématiquement plus haut que celui des hommes qui le font-fermez les guillemets, répétez la phrase. »

D’autres peuvent avoir des conséquences plus graves, en particulier sur le plan international. « Et je veux remercier, euh… ce gars, là », a-t-il bredouillé, en septembre 2021, alors que le nom du Premier ministre australien d’alors, Scott Morrison, lors d’une cérémonie virtuelle pour annoncer l’AUKUS, lui échappait. Pire encore, lors d’un déplacement en Pologne en mars 2022, il s’est exclamé, à propos de Vladimir Poutine : « Pour l’amour de Dieu, cet homme ne peut pas rester au pouvoir  ». Cette improvisation par rapport au discours écrit a forcé tout son gouvernement à se lancer dans des exégèses embarrassées. Le mois dernier, en visite au Canada, il a confondu ce pays avec la Chine. Certaines parutions, comme le tabloïd New York Post (détenu par Rupert Murdoch) écrivent régulièrement sur sa « sénilité » et le fait qu’il fasse « honte aux États-Unis ».

Au-delà de ces faux pas, derrière les interrogations sur la santé de Joe Biden, se profile la question de sa succession. Fin mars, selon un sondage de Monmouth University, le taux d’approbation de Kamala Harris était de 36 % parmi les Américains. Or c’est elle, sa vice-présidente, qui lui succéderait s’il s’avérait incapable de terminer son mandat.




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