« La Biélorussie n’a plus de souveraineté stratégique »


Frontalier avec la Russie, l’Ukraine, la Pologne et la Lituanie, ce pays de 9 millions d’habitants est devenu la base arrière de son imposant voisin, accueillant désormais des armes nucléaires russes.






Par Lou Roméo


Le president bielorusse Loukachenko, a Minsk, en 2010
Le président biélorusse Loukachenko, à Minsk, en 2010
© Sergei Supinsky/AFP

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Annoncé le 25 mars dernier, le transfert d’armes nucléaires tactiques russes vers la Biélorussie a commencé jeudi 25 mai, selon Alexandre Loukachenko, président depuis près de trente ans de cette ancienne république soviétique, seule alliée du Kremlin sur le continent européen. Un entrepôt spécial destiné à ces armes à la portée limitée, mais néanmoins dangereuses, est également en cours de construction dans le pays, et devrait être achevé d’ici à juillet. Frontalière avec la Russie, l’Ukraine, la Pologne et la Lituanie, la Biélorussie apparaît ainsi, une fois de plus, prise au piège de sa relation avec Moscou, avec qui elle a conclu un accord d’intégration poussé.

Car si le président biélorusse a beau présenter le retour de l’arme nucléaire sur sa terre comme une garantie de sécurité face aux Américains, qui ont disposé les leurs en Allemagne, Belgique, Pays-Bas, Turquie et Italie, « ce ne seront pas les Biélorusses qui contrôleront ces armes, mais bien les Russes, à qui le pays prête son territoire », explique la chercheuse à l’université Bordeaux-Montaigne Olga Gille-Belova.

Réticence historique vis-à-vis du nucléaire

Le transfert d’armes nucléaires sur le territoire biélorusse apparaît plus symbolique que stratégique, selon la chercheuse, pour qui la Russie n’a pas réellement besoin de placer ces armes en Biélorussie pour toucher ses cibles. « Il s’agit surtout d’une rhétorique et d’une façon de riposter face aux menaces de livraison d’armes en uranium appauvri à Kiev, explique-t-elle. Ce transfert a donc plus de sens dans le cadre de l’escalade entre la Russie et l’Otan qu’en réponse à des enjeux réellement biélorusses. »

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Historiquement réticente au nucléaire – l’explosion de la centrale de Tchernobyl, située à 400 km de Minsk, a contaminé 23 % du pays –, la population biélorusse serait opposée à la venue d’armes nucléaires, selon un sondage opéré par le cercle de réflexions britannique Chatham House. Après la chute de l’URSS, le pays avait ainsi restitué ses armes à la Russie et signé les accords de non-prolifération conclus dans les années 1990, en plus d’inscrire sa neutralité en matière nucléaire dans sa Constitution.

Mais depuis le début de la guerre en Ukraine, le discours a changé et la marge de manœuvre des autorités apparaît particulièrement ténue, voire inexistante. La Constitution a ainsi été modifiée quelques jours à peine après l’entrée des troupes russes en Ukraine pour supprimer l’article faisant du pays une « zone sans nucléaire ».

Élections truquées

Si le pays reste officiellement non-belligérant dans le conflit, il sert, de fait, de base arrière à la Russie, à qui il a prêté son territoire pour lancer l’invasion de l’Ukraine, en février 2022. Des milliers de soldats russes, des équipements et des camps d’entraînement militaires y sont, en outre, toujours déployés, et l’armée biélorusse a participé à des manœuvres défensives avec la Russie, organisées sur son territoire en janvier.

L’arrivée d’ogives nucléaires marque une étape de plus dans ce processus de vassalisation, avec lequel le président Loukachenko louvoyait depuis des années, alternant rapprochement avec Moscou et main tendue aux Occidentaux. Mais le contexte a changé : confronté à des manifestations massives en 2020 après la tenue d’élections truquées, celui qui est considéré par Washington comme le « dernier autocrate d’Europe » a pu compter sur le soutien de la Russie, et il doit maintenant en payer le prix.

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Déjà extrêmement liée à la Russie pour sa fourniture de pétrole et de gaz, la Biélorussie a ainsi vu sa dépendance économique envers Moscou renforcée par les sanctions prises contre la sanglante répression du mouvement de contestation de 2020. Le pays dépend en sus de la Russie pour l’export de ses produits manufacturés, comme ses tracteurs, inadaptés au marché occidental. Un nouveau prêt a enfin été conclu en décembre dernier par la Biélorussie auprès de la Russie.

« Les otages des ambitions impériales russes »

Si cela devient particulièrement perceptible depuis le début du conflit, « la Biélorussie n’a, en fait, plus de souveraineté stratégique depuis 2020, souligne Olga Gille-Belova. La guerre en Ukraine a complètement exacerbé ce processus, mais concrètement, Alexandre Loukanchenko avait déjà renoncé à sa marge de manœuvre depuis plusieurs années en échange de son maintien au pouvoir, quand Vladimir Poutine l’a soutenu face aux protestations. »

Le pays compte ainsi 1 516 prisonniers politiques pour 9 millions d’habitants, selon l’ONG Viasna, et la situation est encore accentuée par son isolement sur la scène internationale, qui coupe complètement l’opposition en exil de la population. Depuis la Lituanie, l’opposante Svetlana Tikhanovskaïa, condamnée par contumace à 15 ans de prison en mars, s’est néanmoins insurgée contre le transfert des armes nucléaires dans un long texte sur Twitter.

« Aujourd’hui, le régime biélorusse a signé un accord avec la Russie sur le déploiement des armes nucléaires. Non seulement cela mettrait en danger la vie des Biélorusses, mais cela créerait une nouvelle menace contre l’Ukraine et toute l’Europe, a-t-elle fustigé. Cela fera des Biélorusses les otages des ambitions impériales russes », écrit-elle.






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