La demande de fonds durables en perte de vitesse en Europe


Publié le 21 nov. 2023 à 7:38

Fin de l’euphorie pour les fonds d’investissement durables. Le troisième trimestre est venu confirmer une tendance de plus en plus perceptible : l’appétit pour les fonds articles 8 et 9, qui correspondent aux fonds « vert » et « vert foncé » de la réglementation européenne SFDR, s’essouffle.

Selon les données Morningstar, les fonds article 9 n’ont attiré que 1,4 milliard d’euros d’argent frais entre juillet et septembre, un plus bas historique. La situation est plus critique encore pour les fonds article 8, qui ont essuyé une décollecte nette de 20,5 milliards d’euros, après déjà 21,5 milliards au trimestre précédent.

Une situation qui tranche avec les achats nets positifs sur les produits qui ne se revendiquent pas durables, catégorisés article 6. Les créations de nouveaux fonds durables se réduisent, elles aussi, comme peau de chagrin. Avec respectivement 126 et 16 nouveaux véhicules articles 8 et 9 au troisième trimestre, elles n’ont jamais été aussi peu nombreuses.

Soutiens budgétaires

Une conjonction de facteurs explique ce désintérêt. L’attrait de la nouveauté s’étant tassé, les investisseurs se sont mis à douter de la performance des fonds durables. Après une année 2022 particulièrement difficile en raison de leur forte exposition aux valeurs technologiques et de l’envolée des pétrolières, les fonds durables devaient en toute logique retrouver de leur superbe cette année.

Ils devaient profiter de soutiens budgétaires historiques pour les infrastructures énergétiques (solaire, éolien etc.), comme le Pacte vert pour l’Europe ou l’Inflation Reduction Act aux Etats-Unis. Mais après l’euphorie du début d’année, marquée par l’envolée des valeurs de l’intelligence artificielle, abondantes dans les portefeuilles ESG (répondant aux critères environnementaux, sociaux et de gouvernance), les difficultés du secteur des énergies vertes ont réveillé les inquiétudes.

Très dépendant des matières premières, ce secteur est directement affecté par l’inflation. Ses besoins en capitaux pour la construction de nouvelles infrastructures le rendent par ailleurs très vulnérable aux taux élevés. Enfin, les goulets d’étranglement liés à une abondante demande ont provoqué des ruptures d’approvisionnement et des retards de projets.

45 % des fonds ISR dans l’énergie fossile

Outre ces inquiétudes sur la performance des fonds, les accusations de greenwashing (écoblanchiment) et les évolutions incessantes des réglementations ont fini par lasser les investisseurs. Il faudra du temps et davantage de clarté avant que ces derniers ne reconsidèrent leur position.

Déjà, le label ISR (Investissement socialement responsable), vivement critiqué pour sa tolérance aux valeurs pétrolières, devrait retrouver une certaine crédibilité, après la refonte tout juste proposée par Bercy . Selon Morningstar, sur les 1.200 fonds labellisés ISR, 45 % sont exposés à des degrés divers aux énergies fossiles – l’exposition des portefeuilles va jusqu’à 13,8 %. Ils devront revoir leur copie d’ici un an et demi s’ils souhaitent conserver leur certification. Environ 7 milliards d’euros d’actifs sont concernés.

« Quant à l’impact sur les entreprises ciblées, il sera très faible pour certaines, comme BP et Shell, plus important pour TotalEnergies, et potentiellement très important sur d’autres comme Technip si le champ d’exclusion s’étend à tous les acteurs de la chaîne de valeur des hydrocarbures », précise Hortense Bioy, directrice de la recherche mondiale sur le développement durable chez Morningstar.

Consultation à Bruxelles

Jusqu’ici très confuse – en attestent les interminables reclassements de fonds entre les différentes catégories -, la réglementation européenne pourrait, elle aussi, être éclaircie. La consultation lancée par la Commission européenne sur le sujet s’achèvera le 15 décembre. Mais déjà, l’une des propositions de Bruxelles, qui consiste à supprimer les articles 8 et 9 pour les remplacer par un système de labels, semble séduire les autorités de marchés et les particuliers.

« Ce serait un cadre plus simple, plus clair et moins propice au greenwashing », estime pour sa part Hortense Bioy. Nul ne conteste en effet la complexité de la réglementation SFDR. « Les prospectus peuvent faire 400 pages, personne ne les lit intégralement, cela apporte plus de confusion que de clarté », souligne Elisabeth Ottawa, responsable de la politique publique pour l’Europe chez Schroders. Elle regrette aussi que la réglementation ne prenne pas en compte la transition, mais se focalise sur les investissements déjà verts.

Dans les grandes lignes, quatre labels seraient attribués : fonds durables, en transition, de solutions à impact et d’exclusion. Bien décidé à éviter les mêmes écueils que l’Union européenne, le Royaume-Uni, qui s’apprête, avec un temps de retard, à statuer sur le sujet, suggère lui aussi la mise en place de labels.



Lien des sources