la Petite Sirène (en)chante encore !


Et aussi : Stéphane Barsacq, le joyeux Cioran ; « Médée » de retour à Paris, à la Comédie-Française ; Olivier de Kersauson, dix ans d’aventures…








L'actrice et chanteuse afro-americaine Halle Bailey, nouvelle Petite Sirene.
L’actrice et chanteuse afro-américaine Halle Bailey, nouvelle Petite Sirène.

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Fallait-il faire de l’un des dessins animés les plus iconiques de Walt Disney, La Petite Sirène, sorti en 1989, très librement adapté d’un conte d’Andersen, un film ? Le projet pharaonique de Rob Marshall (à qui l’on doit notamment Chicago), réalisé avec un budget de 150 millions d’euros, avait de quoi cliver dès ses premières bandes-annonces. Beaucoup se sont émus des vidéos, qui ont circulé sur le Web, de petites filles afro-américaines bouleversées de voir l’actrice noire Halle Bailey incarner Ariel, traditionnellement pâle et rousse. D’autres ont grincé des dents, au nom du respect des traditions. Verdict ? Devant ce long-métrage, qui nous embarque avec ses scènes sous-marines spectaculaires, ses tempêtes fracassantes, sa musique sucrée et bondissante, pour laquelle le compositeur Alan Menken avait reçu un oscar en 1990 et qu’il remasterise avec brio, on ne se pose plus la question de la couleur de peau de l’actrice. Halle Bailey vibre dans son rôle, l’habite avec chaque fibre de son corps et de son âme de musicienne – d’abord chanteuse, elle a été cinq fois récompensée aux Grammy Awards. Le grand duo du film n’est pas celui qu’elle forme avec son prince, campé par le charismatique Jonah Hauer-King, mais le couple père-fille qu’elle compose avec Javier Bardem, dans le rôle de Triton. Pétri de contradictions, le roi de la mer est irrésistible dans le rôle du papa poule faussement autoritaire, qui voit sa « toute petite » lui échapper pour rejoindre un monde qui le dégoûte : celui des humains. Il faut voir Bardem, bardé de muscles, trident en main, fondre de scène en scène devant sa rebelle de fille. La réconciliation finale porte à son apogée ce qui était déjà le message du dessin animé de 1989 : l’inconnu n’est pas toujours notre ennemi, nos différences sont aussi nos richesses. La couleur de peau de l’héroïne principale, alors, coule de source§ élise lépine 

« La Petite Sirène », en salle.

Essai

Barsacq, le joyeux Cioran


L’écrivain Stéphane Barsacq.

N’est pas Cioran qui veut, mais Stéphane Barsacq le peut. Après Mystica et Météores, ce troisième volume intitulé Solstices confirme qu’il est l’un des papes contemporains de l’écriture minimaliste, celle qui prétend dire la vérité du monde en une phrase ou deux. Si on le compare souvent à Cioran, il est tout le contraire de l’auteur du Précis de décomposition. Solaire, il pratique volontiers l’art de la joie. Il faut toujours avoir un Barsacq chez soi : ça fait du bien. Qu’importe si l’époque est sombre, pourvu que survivent la poésie et l’écriture. On n’est pas toujours d’accord avec Barsacq, notamment quand il sacralise le genre humain, même si, selon lui, nous avons partie liée avec un « avenir sans futur ». Ou bien quand il dresse un saisissant portait de saint François d’Assise, sans doute plus roué et plus bouddhiste qu’il ne le dit. On ne peut cependant que s’incliner devant ce talent prométhéen qui lui permet de nous donner, à propos de tout et de rien, des sentences qui restent dans la tête longtemps après qu’on a refermé Solstices. Lisez Barsacq, c’est du feu !§ franz-olivier giesbert 

« Solstices », de Stéphane Barsacq (Éditions de Corlevour, 204 p., 17 €).

Théâtre

Médée, Médée !


Séphora Pondi et Suliane Brahim.

La magicienne barbare et infanticide est de retour à Paris et elle brûle les planches du Français dans une mise en scène osée qui n’aurait sans doute pas déplu à Euripide, le roi des innovations théâtrales. Car dans cette Médée 2023, Jason est devenu une femme, parti pris de la jeune metteuse en scène Lisaboa Houbrechts pour atténuer, dit-elle, la misogynie du texte antique. Mais l’est-il vraiment, ce texte qui célèbre la rébellion et davantage, la transgression d’une femme abandonnée à son sort par un mari décevant ? Dans le rôle de Médée l’exilée, reine des cadeaux empoisonnés à ses rivales et meurtrière de ses enfants par vengeance, la jeune Franco-Camerounaise Séphora Pondi sait distiller la crainte et la pitié par-delà la force qui émane d’elle. Dans celui du mâle Jason, la gracile Suliane Brahim surprend un peu, avant de convaincre, en accord avec une mise en scène pleine d’inventions symboliques (« Ah, ces enfants de baudruche ! ») que l’Antiquité reste bien ce territoire des écarts cher à Florence Dupont, qui signe la traduction de ce grand texte sur l’exil, l’amour et le pouvoir, toujours aussi concernant§ christophe ono-dit-biot 

« Médée », jusqu’au 24 juillet, Comédie-Française.

LE COIN DU POLAR

Les enfants (éso)terribles du thriller



Le genre du thriller ésotérique a été marqué par l’arrivée, en 2010, de la série des enquêtes du commissaire Antoine Marcas. Puis ses auteurs, Éric Giacometti (le journaliste) et Jacques Ravenne (l’historien), ont troqué leur Marcas pour un autre, son aïeul, Tristan. Père ou grand-père d’Antoine, on ne sait, sinon que Tristan est marchand d’art puis espion dans la saga du Soleil noir, lancée après la résolution des grandes énigmes de l’Occident dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale. Artefacts maudits, secret des Templiers, cercles satanistes et, pour ce sixième volet, la vie éternelle grâce… au sang du diable ! Emprisonné dans le Paris occupé de 1944, Tristan rencontre Solange, dite la « papesse », qui lui fait une étrange prédiction. Sa femme, enceinte, aux mains de Himmler, fomente son évasion d’un Lebensborn, tandis que, cinq siècles plus tôt, le prince Vlad, dit Dracul, dans les Carpates, nous introduit à la légende des buveurs de sang… Vous vouliez de l’aventure, elle est là !§ Julie Malaure 

« Le Graal du diable », de Éric Giacometti et Jacques Ravenne (JC Lattès, 480 p., 22,50 €) 

Récit

Vie majuscule



Cette histoire porte le nom d’un mousquetaire et pourrait, pour un peu, relever de l’aventure dumasienne. Le héros ne viendrait pas de Gascogne, mais d’un peu plus loin, la Corée. Et sa monture ne serait pas un petit cheval à la robe jaune, mais un paquebot français, Le Porthos, précisément, en provenance de Shanghai, et qui le débarque, le 13 décembre 1920, avec vingt de ses compatriotes, dans le port de Marseille. Ce que fait là notre héros ? Il quitte avec eux son pays natal, annexé par le Japon, pour tenter de trouver, en Occident, la modernité qui a manqué à leur patrie pour résister aux assauts du voisin impérialiste. Il s’appelle Li Long-Tsi, et sa destinée, comme celle des vingt et un du Porthos, va être bouleversée par ce voyage. On suit avec passion et émotion le parcours, reconstitué par son fils pour s’acquitter d’une « dette filiale » à partir de lettres et de photos, de l’un des tout premiers Coréens de France, depuis ses débuts dans le Paris étudiant et parfois sensuel de l’entre-deux- guerres jusqu’à son mariage avec une institutrice débutante et la construction d’une vie « restée trop en retrait », dont l’exil aura été conjuré par sa famille et son jardin. Beau comme la vie§ c. o.-d.-b. 

« Les Vingt-et-un du Porthos. Histoires d’immigration », Antoine Li (Atelier des cahiers, 300 p., 23 €).

EN POCHE

Dix ans d’aventures !



Qui de mieux qu’Olivier de Kersauson pour représenter et fêter les 10 ans de la superbe collection « Points Aventure », lancée en 2013 par le maître en la matière, mi-Homère mi-Bob Morane, Patrice Franceschi ? Comme beaucoup de gens du large, « l’Amiral » est un solitaire, un libre, un pur-sang. Il est d’une race étrange que l’on aime passionnément ou que l’on redoute, mais qui ne laisse pas indifférent. Poétiques, bruts et sensuels, ses textes disent tout de « l’esprit d’aventure » si cher à Franceschi et à tous ceux de sa bande, morts (Kessel, Monfreid, Roland Garros) ou vifs (Jean-Louis Étienne, Gérard Chaliand, Sylvain Tesson, Katell Faria). Celui-ci est une sorte de millésime, le best of de tous les autres, quand, le temps d’une lecture jubilatoire, dans une grande bacchanale de mots et d’émois, aventure et littérature ne font plus qu’un. Un quoi ? Un nectar de vie, d’envie et de divine piraterie§ marine de tilly 

« Le Monde comme il me parle », d’Olivier de Kersauson (Points, « Points Aventure », 160 p., 6,70 €).

Les choix du « Point »

Exposition. « Matisse. Cahiers d’art, le tournant des années 1930 ». Plus que cinq jours pour admirer, au musée de l’Orangerie, la façon dont Matisse a redécouvert sa puissance créatrice grâce, notamment, à une femme, Lydia Délectorskaya, qui devient sa muse et son modèle fétiche. Ah, la sensualité du Nu rose de 1935, exceptionnellement à Paris ! Jusqu’au 29 mai au musée de l’Orangerie, à Paris. 

 

Musique. « The National ». Les cinq membres de The National, groupe de rock indépendant originaire du Midwest et formé en 1999 à Brooklyn, n’ont jamais cessé de nous bercer en près de vingt-cinq ans de carrière. Sur leur 9e album, la voix grave de baryton et les paroles mélancoliques de Matt Berninger se marient subtilement avec les compositions des frères Dessner. Chic ! First Two Pages of Frankenstein(4 AD) 

 

Série. « The Diplomat ». Les aventures d’une ambassadrice américaine au Royaume-Uni. Sur fond de guerre imminente entre les États-Unis et l’Iran, mais aussi dans son propre couple. Campés par un impressionnant duo d’acteurs (Keri Russell et Rufus Sewell), les huit épisodes de The Diplomat ont un petit air de The West Wing. Normal, sa créatrice, Debora Cahn, en a écrit 34 des épisodes. Sur Netflix. 

Disney Enterprises/SP – Wikicommons – Pascal Gely/Hans Lucas – JC Lattès/SP – Atelier des cahiers/SP – Points Aventure/SP



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