L’Allemagne se cherche une porte de sortie budgétaire


Publié le 21 nov. 2023 à 8:15Mis à jour le 21 nov. 2023 à 9:31

L’Allemagne a pris des allures de village gaulois ces derniers jours. Les uns appellent à déclarer une situation d’urgence, les autres à tailler dans les dépenses, les troisièmes s’inquiètent de ce qui est constitutionnel ou pas dans les finances publiques.

En interdisant la semaine dernière le transfert de 60 milliards d’euros dans un fonds pour le climat et la transformation de l’économie, la Cour constitutionnelle de Karlsruhe a déclenché un vif débat dans la classe politique et chez les économistes. Avec deux questions essentielles : comment gérer ce trou budgétaire et de quels financements sommes-nous sûrs juridiquement ?

« Des conséquences énormes »

Lundi soir, la crise budgétaire a franchi un nouveau cap. Le ministère des Finances a gelé les nouveaux crédits d’engagements issus du budget 2023 de tous les ministères fédéraux. Ce qui signifie qu’aucun engagement de paiement n’est plus possible pour les années à venir sur le budget en cours.

« Les engagements existants continueront d’être respectés, mais aucun nouveau ne pourra être contracté », indique-t-on au sein du ministère des Finances, confirmant des informations de l’agence Reuters. Le tout « afin d’éviter des charges anticipées pour les années à venir ».

Dans un entretien avec la radio publique allemande lundi matin, le ministre de l’Economie, Robert Habeck, n’a pas non plus rassuré. L’arrêt de la Cour constitutionnelle va avoir des « conséquences énormes » sur la transformation de l’économie, les investissements dans le solaire, les batteries ou l’acier vert. Mais il pourrait aussi faire grimper les factures d’électricité et de gaz. « Les choses pourraient vraiment devenir difficiles », a-t-il expliqué.

De fait, le jugement n’impacte pas seulement les 60 milliards prévus pour subventionner des usines de semi-conducteurs, moderniser le réseau ferroviaire ou remplacer les chaudières à gaz des particuliers. Il fragilise aussi les budgets 2023 et 2024, ainsi que 769 milliards d’euros de fonds spéciaux.

Pourquoi ? En Allemagne, la règle dite du « frein à l’endettement » limite les nouveaux emprunts à 0,35 % du PIB. Un recours à l’endettement, sans application de cette règle, doit être « objectivement et précisément imputable ». Pas question d’emprunter pour une chose, puis de s’en servir pour une autre.

Limiter la hausse des prix de l’énergie

Surtout, la Cour rappelle que les fonds spéciaux ne peuvent être utilisés que dans le cadre de l’exercice pour lequel ils sont prévus. Or ce n’est pas le cas du Fonds spécial de stabilisation de l’économie.

Créé à la suite de la crise énergétique de 2022, ce fonds de 200 milliards a permis de limiter la hausse des prix du gaz et de l’électricité en 2023. Entre janvier et fin octobre 2023, 31,2 milliards d’euros ont été dépensés à cet effet, précise le ministère de l’Economie.

Au regard du jugement, cette somme aurait dû apparaître dans le budget actuel. En conséquence de quoi, « le budget 2023 du gouvernement n’est pas constitutionnel », estime Armin Steinbach, économiste et ancien haut fonctionnaire allemand.

29 fonds spéciaux

Le leader de la droite allemande, Friedrich Merz, a annoncé la semaine dernière qu’il avait demandé une expertise juridique sur ce sujet et qu’il pourrait décider de porter plainte.

Pire. L’Allemagne possède 29 fonds spéciaux dotés au total de 869 milliards d’euros. Aujourd’hui, seul le fonds pour la Bundeswehr est juridiquement sûr parce qu’il n’est pas soumis à la règle du « frein à l’endettement », le gouvernement ayant modifié la Loi fondamentale à cet effet.

« Une politique plus efficace avec moins d’argent »

Que faire dans ces conditions ? « Nous sommes désormais contraints de moderniser l’économie avec moins de subventions publiques », répond le ministre des Finances, Christian Lindner, dans une interview à « Bild am Sonntag ». La chef du Parti social-démocrate, Saskia Esken, s’est elle prononcée en faveur d’une suspension du « frein à l’endettement » en 2023 et 2024. Ce qui implique de déclarer une situation de crise.

La confédération des syndicats DGB soutient cette approche. Monika Schnitzer, la présidente du groupe d’économistes qui conseillent le gouvernement, est du même avis. Mais pas Veronika Grimm, qui appartient aussi à l’instance. 

Une audition d’experts

Alors qu’une audition d’experts se tient ce mardi au Bundestag pour évaluer les conséquences de l’arrêt, la Bundesbank est entrée dans la danse hier, en expliquant dans son rapport mensuel que les mesures visant à assouplir le frein à l’endettement n’étaient pas « appropriées ».

Pour son budget 2024, le gouvernement n’aura finalement que trois options : augmenter les impôts, tailler dans les dépenses ou lever « le frein à l’endettement ». Christian Lindner s’opposera à la première option et le Parti social-démocrate et les Verts à la seconde.

La troisième n’a pas été formellement rejetée par les libéraux, mais elle déclenchera une plainte de la droite allemande. Sur 2023, déclarer une situation de crise sera défendable en justice, du fait des prix de l’énergie. Sur 2024, ce sera plus risqué. Un choix cornélien pour Olaf Scholz.



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