« Le Louvre est à l’écoute du monde » affirme sa présidente


Comment se porte Le Louvre après deux ans de pandémie ?

Nous avons enregistré depuis l’été dernier une reprise de la fréquentation qui ne s’est pas démentie, avec 7,8 millions de visiteurs en 2022. Au printemps 2023, nous atteignons déjà presque 3 millions de visiteurs, ce qui devrait nous conduire à environ 8 millions en fin d’année, tout en maintenant la jauge maximale quotidienne de 30.000 personnes que j’ai instaurée au printemps 2022. Je souhaite redonner à nos visiteurs le goût du Louvre et cette jauge est un des outils qui permet d’améliorer le confort du parcours. Elle répond aussi à un souci de sécurité, alors que le musée pouvait atteindre des pics journaliers de fréquentation de 45.000 personnes.

J’ajoute que nos visiteurs ont gardé l’habitude de préréserver leur créneau, ce qui permet de lisser la fréquentation et donc de mieux la réguler. Je ne souhaite pas revenir aux records des années 2019 avec plus de 10 millions de visiteurs car nous nous heurtons aujourd’hui à un problème structurel : la Pyramide, conçue dans les années 1980 pour accueillir 4 millions de personnes, est aujourd’hui tout bonnement saturée.

Comment y remédier ?

Je propose la création d’une nouvelle entrée devant la colonnade Perrault, face à l’église Saint-Germain-l’Auxerrois. Il s’agit d’un projet d’envergure devant nous permettre de conquérir de l’espace, au travers d’un geste architectural fort qui pourrait faire l’objet d’un concours international.

Je propose la création d’une nouvelle entrée qui permettrait de mettre fin à l’engorgement de la Pyramide, de mieux irriguer le Louvre et de le reconnecter à la ville.

Alors que le Louvre est encore souvent perçu comme une forteresse inaccessible, cette nouvelle entrée permettrait de mettre fin à l’engorgement de la Pyramide, de mieux irriguer le Louvre et de le reconnecter à la ville et à un environnement très dynamique avec la collection Pinault , la Samaritaine et bientôt la Fondation Cartier.

La décision est-elle prise ?

Le Louvre est une part de notre identité nationale, c’est un lieu symbolique de notre histoire. Depuis neuf siècles, toute grande transformation passe par une décision au plus haut niveau : récemment la Pyramide sous François Mitterrand, le Pavillon des Sessions ou le département des Arts de l’Islam avec Jacques Chirac, ou encore le futur département des Arts de Byzance et des Chrétientés en Orient annoncé lors de ma nomination en accord avec Emmanuel Macron. Ce projet de nouvelle entrée n’échappe pas à la règle et j’ai remis une note détaillée au Président de la République en ce sens.

Le musée a-t-il renoué avec son visitorat international ?

Nous sommes revenus à une fréquentation composée à environ 70 % de visiteurs étrangers et 30 % de Français. Je veux faire du Louvre un lieu plus attractif pour le public de proximité, de toutes tranches d’âge, par la qualité de la programmation et la diversité des propositions artistiques, notamment de spectacles vivants. Paris est la ville où l’offre culturelle est la plus importante, plus encore que Londres ou New York, et les Parisiens sont très sensibles à la programmation événementielle des musées, comme j’ai pu le vérifier lorsque je dirigeais le musée Orsay.

J’aime travailler à partir de l’identité, de la singularité d’un lieu. Le Louvre est à ce titre un inépuisable espace de création, notamment parce que sa taille nous permet d’expérimenter de nouveaux formats. C’est ce que nous ferons dès juin prochain dans la Grande Galerie, en faisant dialoguer pendant six mois les chefs-d’oeuvre du musée Capodimonte de Naples avec ceux du Louvre. Nous voulons aussi faire davantage en direction du monde scolaire, en accueillant plus de jeunes pour qui la découverte du musée doit être un moment d’exception, un moment fondateur, qui doit leur donner envie de revenir et d’y amener leur famille.

Comment être contemporain en présentant des oeuvres du passé ?

Le Louvre est bien plus qu’un grand musée d’art ancien. Il a toujours été et doit redevenir un lieu de création. Le groupe français de rock Feu ! Chatterton est ainsi en résidence pour trois mois dans nos murs : les cinq artistes s’y baladent librement pour y puiser l’inspiration et proposent chaque vendredi des concerts avec des artistes qu’ils invitent.

Nous préservons la partie la plus fragile de l’histoire de l’humanité, et avec les créateurs d’aujourd’hui, il faut porter un nouveau regard sur ces trésors, ne plus tenir un discours d’autorité descendant.

Dans notre monde si instable, Le Louvre a beaucoup à dire. C’est un musée à vocation universelle qui donne à voir le beau dans sa diversité, sans hiérarchie. On peut ainsi être saisi par la modernité d’une petite chaise trouvée dans une tombe égyptienne comme par le fragment d’un objet qui nous vient de l’Antiquité. Nous préservons la partie la plus fragile de l’histoire de l’humanité, son patrimoine culturel, et avec les créateurs d’aujourd’hui, il faut porter un nouveau regard sur ces trésors, ne plus tenir un discours d’autorité descendant, avoir le souci du public, s’adresser autant aux dix spécialistes de vases grecs qu’à l’élève de collège ou au visiteur chinois qui ne viendra qu’une fois.

Le musée doit aussi être une école du regard, à l’heure où les images sont difficiles à décrypter. Le Louvre ce n’est pas seulement trois ou quatre chefs-d’oeuvre mondiaux, c’est en réalité mille Joconde ! A nous de les montrer et de les expliquer. Au fond, je crois qu’il n’y aurait pas de pire piège pour nous que de devenir une simple attraction touristique ou au contraire de nous refermer dans une forme d’élitisme.

Quels sont les musées qui vous inspirent le plus ?

Ceux-là même que le Louvre a inspirés ! Le Louvre Abu Dhabi et le Louvre Lens sont deux immenses réussites, pensées en partant des attentes du public. Le premier, que j’ai contribué à concevoir lorsque j’étais directrice scientifique de l’Agence France Muséums , dans une zone géographique dépourvue de musées jusque-là, a suscité un vif élan dans la région et reçoit un million de visiteurs par an, ce qui est au-dessus des prévisions.

Le second, au coeur du bassin minier, dans un territoire en difficulté, est un succès de la décentralisation culturelle, avec 5 millions d’entrées en 10 ans et un public venant à 75 % des Hauts-de-France. Ces projets ont prospéré car ils ne sont pas une transposition du Louvre, mais une interprétation de son ADN. Alors que la révolution numérique, l’intelligence artificielle, vont continuer à bouleverser notre rapport au monde, il va falloir aussi repenser les outils d’accompagnement de la visite, il y a des rendez-vous technologiques à ne pas manquer.

Le Louvre peut-il rivaliser avec les moyens de certains grands musées privés ?

L’émergence de grandes structures privées participe de l’enrichissement de l’offre culturelle et crée une émulation positive, notamment dans la qualité de l’accueil, parce que ces musées ont un autre rapport au visiteur. Cela élève notre propre niveau d’exigence, car le public, très mobile, ne fait pas la différence entre public et privé. Mais n’oubliez pas que le Louvre a aussi une mission de service public. Plus de 40 % des visiteurs du Louvre ont bénéficié de la gratuité en 2022, 45 % ont moins de 25 ans et 60 % y viennent pour la première fois.

Le Louvre n’est-il pas un gros paquebot à faire bouger ?

Avec 2.200 collaborateurs exerçant 80 métiers, c’est effectivement une ville dans la ville. Ce grand navire se conduit avec le « temps Louvre », c’est-à-dire un temps long, mais il est plus agile qu’il n’y parait ! Quand je suis arrivée, j’ai écouté les équipes, revu l’organigramme, recruté. Il m’appartient de convaincre, de faire partager ma vision. Je m’inscris dans une logique de dialogue et de respect mutuel.

Quel est votre degré d’autonomie ?

Le modèle français des musées est hybride car il perdure une tradition régalienne de la culture. De grands établissements comme Versailles, l’Opéra de Paris, le Louvre, témoignent de la place éminente de l’exception culturelle française. Le Louvre dépend du ministère de la Culture et nous discutons étroitement avec Bercy, mais nous faisons partie des bons élèves, avec un taux d’autofinancement de près de 60 % pour un budget de 245 millions d’euros.

A l’image des grands musées américains, nous avons créé un fonds de dotation qui atteindra prochainement les 300 millions d’euros de capital. La licence de marque du Louvre Abu Dhabi l’alimente en partie. Ce fonds nous permet par exemple de financer le budget de fonctionnement annuel de nos réserves à Liévin à hauteur de 1,5 million.

Dans quelle mesure Le Louvre participe-t-il à notre soft power ?

Le Louvre est sans doute le musée le plus visité au monde. Il est partout regardé et admiré. Il porte un message, une image, qui est associée à celle de la France. C’est donc aussi un outil diplomatique qui participe de notre politique d’influence.

D’ailleurs la rupture qui s’est opérée avec les musées russes, du fait de la guerre est violente car les musées et les collections sont faits pour dialoguer, mais le plus crucial est aujourd’hui de savoir comment nous pouvons aider nos confrères ukrainiens face aux terribles épreuves qu’ils traversent. Le Louvre y prendra toute sa part notamment au travers du département des Arts de Byzance et des Chrétientés en Orient que je viens de créer. Il y a un devoir de mémoire face à un patrimoine en danger, détruit, volé.

Le Louvre est donc à l’écoute du monde et c’est vrai également en matière de restitution : si les conditions d’acquisition de certaines oeuvres sont juridiquement reprochables alors il faut corriger ce qui doit l’être. Nous avons ainsi entamé un dialogue très étroit avec les autorités italiennes pour examiner le cas de six pièces archéologiques litigieuses appartenant à nos collections et qui pourraient faire l’objet d’un accord prochainement. Mais je crois très sincèrement qu’au-delà des débats et quelquefois des polémiques, en Afrique comme ailleurs, c’est surtout la notion de coopération avec les pays sources qui domine aujourd’hui.

Son actualité

Laurence des Cars a été nommée au Conseil de surveillance du prestigieux Van Gogh Museum d’Amsterdam le 1er février dernier, pour un mandat de 4 ans.

Elle est par ailleurs devenue en mars la présidente du jury du Prix Liliane Bettencourt pour l’Intelligence de la Main qui récompense l’excellence dans les métiers d’art, sur proposition de Françoise Bettencourt Meyers, présidente de la Fondation Bettencourt Schueller et membre du comité de direction de L’Oréal.

Son parcours

Nommée en 2021 par Emmanuel Macron, elle est la première femme à diriger le Louvre en 230 ans d’histoire. Diplômée de la Sorbonne, de l’Ecole du Louvre et de l’Institut national du patrimoine, elle a été nommée à Orsay en 1994 conservatrice en charge de la peinture, assurant le commissariat d’expositions de référence sur Courbet, Vuillard… De 2007 à 2014, elle supervise la création du Louvre Abu Dhabi en tant que directrice scientifique de l’Agence France Muséums. De 2017 à 2021, elle préside l’Etablissement public des musées d’Orsay et de l’Orangerie. Son exposition « Le modèle noir, de Géricault à Matisse », en 2019, a été mondialement saluée.



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