le microbiote intestinal passe en phase industrielle


L’entreprise lyonnaise MaaT Pharma vient de construire la première usine en France pour produire en masse du microbiote intestinal, nouveau traitement contre les cancers.








Par Olivier Hertel


MaaT013 est une poche de selles provenant de plusieurs donneurs. Elle contient environ 500 especes de bacteries du microbiote intestinal.
MaaT013 est une poche de selles provenant de plusieurs donneurs. Elle contient environ 500 espèces de bactéries du microbiote intestinal.
© Maat Pharma

À Saint-Quentin-Fallavier, près de Lyon, au bord de l’A43, c’est une usine d’un genre très particulier qui vient tout juste de sortir de terre. Dans ce bâtiment aux murs immaculés, les selles fraîches de centaines de personnes seront bientôt livrées dans des petites boîtes hermétiques pour être transformées en véritables médicaments. Ces traitements développés par l’entreprise française MaaT Pharma créée en 2014 sur la base d’un transfert de technologie avec l’Inrae sont à la pointe de l’innovation et en pleine révolution. Ils exploitent les nombreuses propriétés du microbiote intestinal – l’ensemble des micro-organismes présents dans notre intestin – pour s’attaquer aux maladies les plus sévères dans le domaine de la cancérologie.

Les promesses sont si grandes qu’un passage à la production industrielle est devenu incontournable tant la demande devrait exploser dans les prochaines années. « Nous produisons des médicaments qui modulent le microbiote pour moduler l’immunité. Les études montrent que cela améliore la survie des patients », précise Hervé Affagard, directeur général et cofondateur de MaaT Pharma. Dans certaines maladies, ce traitement est curatif, c’est-à-dire, qu’à lui seul il permet d’obtenir la guérison. Dans d’autres cas, il améliore l’efficacité des traitements : par exemple, une chimiothérapie ou une immunothérapie qui utilise le système immunitaire pour lutter contre les cellules cancéreuses.

500 espèces de bactéries

L’entreprise a d’ailleurs plusieurs essais cliniques en cours avec deux de ses produits. Le premier, MaaT013, est une poche de 150 millilitres contenant une solution de selles de quatre à huit donneurs soigneusement sélectionnés. Le liquide est administré par voie rectale. Le fait de mélanger ainsi plusieurs dons permet d’augmenter la diversité du microbiote et de le standardiser, ce qui améliore l’efficacité du traitement et sa reproductibilité. « Chaque poche contient environ 500 espèces de bactéries alors qu’un donneur individuel en héberge entre 150 et 300 », explique Carole Schwintner, la directrice de la technologie.

MaaT013 est actuellement en phase III d’un essai clinique – phase qui précède l’autorisation de mise sur le marché – mené sur 75 personnes et ciblant la maladie du greffon contre l’hôte qui peut survenir après une greffe de cellules souches indiquée pour traiter certains cancers du sang. « Cette maladie est très grave. La greffe se retourne contre le patient et va attaquer la peau, le foie et l’intestin. Dans ce dernier cas, on peut avoir 80 % de mortalité à un an. Or là, l’administration de microbiote peut être curative », assure Émilie Plantamura, la directrice du développement clinique.

Si les tests sont concluants, le produit pourrait arriver sur le marché en 2025-2026. Le deuxième essai avec MaaT013, actuellement en phase II sur 60 personnes, vise à améliorer l’efficacité du traitement du mélanome métastatique. Le produit vient en complément des immunothérapies qui, chez certains patients, ne fonctionnent pas du tout. « De nombreuses études ont montré que cette absence de réponse pourrait être liée au microbiote. Le but de ce deuxième essai est donc d’augmenter l’efficacité de ces immunothérapies, car MaaT013 stimule le système immunitaire », précise Émilie Plantamura.

À LIRE AUSSI Hôpital : désarmer les microbes plutôt que les tuerMaaT Pharma dispose d’un autre produit en cours d’évaluation, MaaT033, des gélules administrées par voie orale et contenant un assemblage de microbiotes intestinaux, non pas sous forme de selles bien sûr, mais d’une poudre obtenue par lyophilisation. Les premiers essais sont moins avancés et ciblent les cancers du sang (phase II sur 387 patients) et la maladie de Charcot (phase I sur 15 patients).

L’entreprise lyonnaise s’aide aussi de l’intelligence artificielle pour développer de nouveaux produits. Elle a mis au point une plateforme basée sur le machine learning qui analyse toutes les données déjà recueillies lors des essais ou encore disponibles dans la littérature scientifique, afin d’identifier et fabriquer le meilleur microbiote contre telle ou telle maladie. Cette approche est encore très expérimentale et aucun produit n’est en phase d’essai clinique. Mais le moment venu, l’usine sera en capacité de produire de manière industrielle le microbiote idéal pour telle maladie, grâce à un assemblage de selles de plusieurs donneurs. À la manière d’un maître de chai qui jongle avec les cépages pour produire un grand cru.




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