le pari fou (et réussi) d’une maison d’édition
Retracer l’histoire de la guerre des origines à nos jours est une gageure qu’ont relevée par le passé John Keegan (1934-2012) ou des collectifs d’historiens, avec plus ou moins de succès. Devant l’ampleur de la tâche, difficile parfois d’être exhaustif, de relier les périodes entre elles. On peut se décourager aussi, en tant que lecteur, devant d’austères pavés.
Pour les amateurs d’histoire comme les spécialistes, Passés composés publie une Histoire de la guerre en infographie, ce mercredi 2 octobre. La maison d’édition s’est fait une spécialité dans de magnifiques ouvrages qui font la part belle aux datas.
De l’empire romain à l’empire napoléonien, les chiffres et autres données, arides sur tableur Excel, prennent forme et permettent de montrer des dynamiques en action, des forces en présence. Il a fallu deux ans de travail et de dialogue permanent entre Vincent Bernard, Laurent Touchard et l’infographiste Julien Peltier pour livrer cette riche synthèse de l’histoire de la guerre.
Des légions romaines à l’armée aztèque
« Il y avait toujours l’inquiétude de placer le curseur au bon endroit entre l’essentiel et des détails », explique Julien Peltier, également historien. Divisé en six chapitres, l’ouvrage passe par les grandes phases d’évolution de la guerre : de la pierre au fer, couvrant les premiers empires de Mésopotamie au combat antique, du fer au feu avec l’expansion de l’islam à la chevalerie, etc.
On s’attarde sur chaque double page entre les cartes et les frises chronologiques. D’un coup d’œil, on observe les différentes formes de l’armée romaine, de la légion « originelle » en trois phalanges à celle de la réforme marianique divisée en dix cohortes.
Certaines périodes, faute de sources fiables, sont moins aisées à représenter en infographie. Mais les auteurs n’ont pas fait l’impasse sur l’Afrique, où divers empires et royaumes se développent avant la colonisation, ou ceux précolombiens en Amérique du Sud.
L’Empire aztèque s’appuie sur un vivier de six millions d’habitants pour former une armée strictement hiérarchisée, du Macehualtin, homme de classe sociale la plus basse, aux guerriers Jaguars ou Aigles, appartenant à des ordres militaires d’élites. Géants militaires de leur temps, ces empires précolombiens au XVIe siècle puis les nations africaines au XIXe siècle ne résisteront pas à la frénésie coloniale des pays européens, qui deviennent à leur tour des empires.
Ces derniers grandissent par la force et profitent à fond de leur avantage technologique : fusil à répétition, artillerie et surtout mitrailleuses Maxim, qui compensent la faiblesse des effectifs engagés. Résultat, en 1920, l’Empire britannique s’étend sur 34 millions de km2 (sur environ 150 km2 de terres émergées) avec 458 millions d’individus vivant sous les lois de la Couronne en 1938. La population anglaise pèse pour seulement 44 millions d’habitants.
« Une nouvelle façon de raconter l’histoire »
« C’est une nouvelle façon de raconter l’histoire, avec l’optique de viser un public le plus large possible », s’enthousiasme l’historien Vincent Bernard. Les spécialistes resteront sans doute sur leur faim, « mais il était impossible de tout dire ». Les amateurs pourront, eux, y trouver une première lecture, avant d’approfondir avec les livres proposés en bibliographie dans chaque double page. L’ouvrage sera sûrement utilisé comme support pédagogique, suscitant, on l’espère, curiosité de mieux connaître l’histoire des conflits.
La guerre s’accompagne évidemment de morts, de pillages, de destructions. Là encore, un subtil équilibre s’opère du côté de l’infographiste : « Proposer une esthétique générale sans esthétiser le fait guerrier. » Julien Peltier fait donc la part belle à l’homme. Le combattant évolue au fil des siècles, de la cuirasse et casque bourguignotte du conquistador à l’aviateur de la Seconde Guerre mondiale, en passant au guerrier iroquois de la guerre de Sept Ans. Rappel salutaire que derrière les chiffres se trouvent de l’humain. Ils sont 380 000 poilus tués ou blessés lors de la bataille de Verdun de février à décembre 1916, et de 350 000 à 600 000 civils allemands à mourir sous les bombardements alliés de 1941 à 1945.
On frissonne à l’âge de la guerre atomique, où de part et d’autre les armes atomiques (30 000 missiles côté américain, 25 000 côté soviétique) sont prêtes à frapper. La première frappe aurait fait, selon les estimations, 80 millions de morts aux États-Unis, 100 millions dans les républiques soviétiques. Sans compter les plus de 260 autres millions de morts du fait des radiations et du climat modifié.
« Constantes et permanentes » de la guerre
Alors que retenir dans ce tourbillon de conflits, guerres et entreprises de conquêtes, inhérentes à l’humanité ? C’est là que le lecteur prend du recul avec le sixième et dernier chapitre des « constantes et permanentes » de la guerre. La mort, omniprésente pendant et après la bataille, touche sans distinction soldats et civils – tués par les armes ou la maladie propagée par les armées. Il faut organiser ses masses d’hommes, du plus petit groupe tactique d’une dizaine d’hommes à un théâtre d’opérations où combattent 500 000 soldats. Si le nombre est important, la logistique, la mobilisation de l’arrière et l’argent, le fameux « nerf de la guerre », sont aussi essentiels.
On parle d’hommes, mais les femmes sont loin de tenir un second rôle. Épouses et prostitués suivent l’ost du Moyen Âge et assurent une grande part de la logistique. Auxiliaires au sein des services de santé au XIXe, les femmes sont ensuite nombreuses à prendre les armes dans l’Armée rouge face à l’Allemagne nazie. Les Israéliennes font, comme les Israéliens, leur service militaire.
Les dommages sur l’environnement sont aussi abordés. Les auteurs prennent l’exemple des 613 puits de pétrole incendiés par l’armée irakienne en 1991 au moment de se replier du Koweït, dégageant des fumées et des nuages hautement toxiques qui font chuter la température de 11 °C.
« L’histoire nous l’enseigne, et l’actualité nous le rappelle sans cesse, hélas : les portes de temple de Janus ne se referment jamais vraiment », rappellent les trois auteurs. Le lecteur ne voudra pas fermer tout de suite cet ouvrage, qui se dévore comme une bande dessinée, mais se savoure comme un grand livre d’histoire.
« Histoire de la guerre en infographie », de Julien Peltier, Vincent Bernard et Laurent Touchard (Passés composés, 144 p., 28 €).