L’Intelligence artificielle s’invite au Paris Legal Makers

Avec ChatGPT, Midjourney, Dall-E, Bing et autres générateurs de textes, d’images et de musiques basés sur l’intelligence artificielle s’ouvre une nouvelle ère technologique, qui suscite autant de fascination que de craintes. De quelle révolution parle-t-on ? Comment l’accompagner dans un cadre responsable, respectueux des droits fondamentaux ? La machine peut-elle échapper à ses créateurs ? Ces questions seront au cœur de la deuxième édition du Paris Legal Makers (PLM), un événement international organisé par le barreau de Paris, dont Le Point est partenaire. À la croisée des mondes juridique, entrepreneurial, philosophique et académique, cette série de débats et de conférences se tiendra le 23 novembre, au palais Brongniart (Paris 2e), sous le haut patronage du président de la République.
« La première édition du PLM avait été organisée en 2021 à l’initiative de mon prédécesseur, Olivier Cousi. L’ambition n’a pas changé : il s’agit toujours de montrer la vitalité de la place de Paris, un écosystème juridique d’une grande richesse et très attractif à l’échelle internationale », rappelle Julie Couturier, bâtonnière de Paris, dont le barreau rassemble 34 000 avocats. Le thème de l’IA s’est imposé presque naturellement. « Les choses vont très vite, et son impact sera colossal, sur nos métiers comme sur l’ensemble des activités économiques, considère Me Couturier. La profession d’avocat est à la croisée des chemins, elle y joue sa survie. En même temps, il faut sortir du fantasme du grand remplacement par l’IA, qui peut aussi offrir de vraies opportunités – à condition de s’approprier ses outils –, être source de progrès et ouvrir un nouveau champ des possibles, pour les professions juridiques et le monde du travail en général, mais également dans les domaines de la santé, de l’environnement, dans la gestion des services publics et l’éducation… C’est ce que nous voulons démontrer. »
Cyberattaques. Deux conférences plénières et cinq tables rondes ponctueront la journée. Les invités de la plénière d’ouverture (« IA : risque systémique ou juste une révolution de plus ? ») évoqueront le « séisme » que provoque l’IA générative dans nos sociétés. Une arme à double tranchant : si l’IA devient surpuissante, peut-elle se retourner contre nous ? Le philosophe et ex-ministre Luc Ferry traitera du rôle capital de l’éducation à l’IA et par l’IA : « Les machines parlantes, capables de nous manipuler, invitent à repenser ce qui fonde l’être humain. » « Dans la relation entre l’homme et la machine, le maillon faible, c’est l’homme », met lui aussi en garde le psychiatre Serge Tisseron, également invité.
Quelles tâches l’intelligence artificielle va-t-elle remplacer ? Quels nouveaux métiers va-t-elle faire naître ? L’atelier consacré au « monde du travail » montrera comment l’entreprise l’intègre à ses méthodes de management, tout en protégeant les données qu’elle manipule. « L’IA générative va automatiser les attaques informatiques », démontrera Arnaud Taddei, spécialiste cybersécurité chez Broadcom.
Comment les algorithmes peuvent assister le juge, tout en garantissant un procès équitable ? Invité de l’atelier « Le procès et l’IA générative », Raja Chatila, professeur émérite d’IA, de robotique et d’éthique des technologies à Sorbonne Université, soulignera la discutable impartialité des systèmes algorithmiques, fondés sur des calculs statistiques. Jean-Paul Vulliety, avocat et professeur de droit genevois, viendra désamorcer les croyances en une intelligence artificielle omnisciente et omnipotente et insistera sur son incapacité à remplacer l’intelligence humaine dans nombre de domaines.
Justice augmentée. « La révolution est systémique, ses enjeux intéressent tous nos concitoyens, dans leur travail mais aussi leur vie sociale. C’est pourquoi nous aborderons le sujet dans ses dimensions juridiques, philosophiques et politiques, tout en le raccrochant à l’économie réelle », précise Yves Wehrli, avocat associé du cabinet Clifford Chance et cheville ouvrière de ce nouveau Paris Legal Makers, dont il a animé le comité scientifique.
L’IA bouscule le marché du droit, conduisant avocats et juristes d’entreprise – leur association, l’AFJE, et le Cercle Montesquieu sont partenaires de la manifestation – à faire évoluer leurs pratiques. Comment peut-elle devenir leur alliée plutôt que leur concurrente ? Invité de l’atelier « Justice augmentée : comment l’IA redéfinit le rôle des acteurs du droit ? », Christophe Roquilly, directeur de l’Edhec Augmented Law Institute, détaillera les cas d’usage de l’IA dans les cabinets d’avocats, tandis qu’Alexia Delahousse, directrice juridique de Qonto (solutions financières en ligne), expliquera comment les directions juridiques intègrent l’IA générative dans leurs méthodes de travail.
L’intelligence artificielle brouille les lignes entre la créativité humaine et les contenus qu’elle génère. Quels types de données peuvent être aspirés par ces outils ? Les résultats générés peuvent-ils être qualifiés d’œuvres protégeables par un droit d’auteur ? Auquel cas, qui en serait l’auteur : l’humain, la machine, les deux ? Comment penser des règles équitables de répartition de la valeur ? Autant de questions que décrypteront notamment Cécile Rap-Veber, directrice générale de la Sacem, et Adrien Basdevant, avocat, lors de l’atelier « La propriété intellectuelle, littéraire, artistique : la fin d’un modèle ? ».
Changement climatique. L’IA va-t-elle mettre l’éducation à la portée de tous ? Quel rôle va-t-elle jouer en matière de santé ? Quel est son potentiel pour enrayer le changement climatique ? Va-t-elle nous rendre la vie meilleure ? Des points abordés lors de la table ronde « Redéfinir l’avenir grâce à l’IA : réchauffement climatique, santé, éducation et au-delà », à laquelle est annoncé notamment Anton Carniaux, directeur des affaires publiques et juridiques de Microsoft France.
Enfin, la plénière de clôture soulèvera la question cruciale de l’éthique, face à l’ambition technologique (« L’avenir de l’intelligence artificielle : concilier ambition technologique et enjeux éthiques »). Jean-Noël Barrot, ministre chargé de la Transition numérique et des Télécommunications, précisera les orientations de la France, dans un contexte technologique dominé par les géants américains et chinois. « Les capacités émergentes de ces IA, imprévisibles et incontrôlables, nous confrontent à un problème éthique majeur : l’impossibilité de distinguer entre un texte écrit par un humain et celui que génère la machine », fera observer le physicien et philosophe Alexei Grinbaum. Pour éviter les projections de responsabilité sur la machine, les codes en filigrane (watermarks) et les méthodes de contrôle visant à bloquer les sorties « toxiques » du système sont des verrous indispensables, expliquera-t-il. « Offrir une vision lucide et positive de l’intelligence artificielle : c’est l’ambition de cette journée », conclut la bâtonnière de Paris §
Paris Legal Makers 2023
Organisé par le barreau de Paris en partenariat avec Le Point, avec le concours de l’Association française des juristes d’entreprise (AFJE) et du Cercle Montesquieu, l’événement se tiendra le jeudi 23 novembre au palais Brongniart (Paris 2e).
Programme complet et inscriptions : www.parislegalmakers.org