Procès des « démembreuses » de Rouen : Cécile Vasselin parle enfin




Ce n’est pas la même accusée qui se présente en ce début de semaine devant la cour d’assises d’appel de Seine-Maritime. Il y a un an, en première instance, dans cette même salle du palais de justice de Rouen, Céline Vasselin se cachait derrière un rideau de cheveux raides et marmonnait, entre deux sanglots, quelques bouts de phrases pas toujours audibles. Aujourd’hui, cheveux tirés, lunettes sur le nez, en gilet beige, elle se tient droite et semble prête à affronter les questions. Elle a décidé, cette fois-ci, de davantage « parler » et de « (se) libérer ».

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Céline Vasselin, 36 ans, comparaît devant cette cour – au jury majoritairement féminin – pour avoir tué son compagnon et le père de son unique enfant, Sliman Amara, avant de découper son corps en morceaux avec l’aide d’une complice, Jessica Adam. Un crime sordide et méticuleusement planifié sur fond de violences conjugales.

Le 19 novembre 2022, Céline Vasselin et Jessica Adam avaient été condamnées, respectivement, à 22 et 17 ans de réclusion criminelle pour assassinat et atteinte à l’intégrité d’un cadavre. Une troisième accusée, jugée pour ne pas avoir dénoncé les faits, avait été acquittée. Des peines jugées trop clémentes par le parquet général qui a fait appel.

Je regrette vraiment, j’ai fait du mal à beaucoup de personnesCéline Vasselin

« Je regrette vraiment, j’ai fait du mal à beaucoup, beaucoup de personnes ! » lâche-t-elle avant de s’effondrer en larmes dès que la présidente lui donne la parole. Mais la jeune femme se reprend. Puis elle s’épanche sur sa vie privée pendant près d’une heure trente.

L’ancienne esthéticienne qui, depuis son incarcération il y a cinq ans, à la maison d’arrêt de Rouen, est suivie par une psychologue, revient sur son enfance. Fille unique, elle est principalement élevée par sa mère, Josette, femme de ménage (décédée depuis). Son père, peintre en bâtiment, quitte le foyer lorsqu’elle a 2 ans, et quand il revient, sa colère explose parfois sous l’effet de l’alcool. Il tape dans les murs, sur des objets, comme le fera plus tard son compagnon.

Mère possessive, père « en pointillé »

Céline entretient avec sa « maman » une relation plus que fusionnelle ; elle se rend compte aujourd’hui que dormir dans le lit de sa mère – « enlacée avec elle », précise l’avocat général – jusqu’à ses 17 ans, « c’était pas normal ». Très timide, réservée, elle était « beaucoup seule » – « ma mère travaillait beaucoup » –, il lui arrivait de faire ses devoirs dans un bar avec son père. Un « père en pointillé », comme le décrit l’avocat général. À l’école, c’est une élève moyenne qui a des problèmes d’élocution et de confiance en elle : « J’avais peur, je voulais pas qu’on m’interroge. »

À LIRE AUSSI Procès des « démembreuses » de Rouen : le récit d’un pacte diaboliqueÀ la maison, on ne communique pas. Sa mère est dépressive, angoissée, elle impose à sa fille ses standards de minceur (elle doit boire de la Contrex et mettre des crèmes anticellulite). Elle est possessive, étouffante, voire cassante. « Maman parlait très peu mais quand elle parlait, c’était dur… C’était des phrases qui piquent. » Céline ne dit rien, encaisse, elle a « une carapace », selon les mots de son père, qui s’est rapproché d’elle par la suite. Jacques Vasselin, qui témoignait lundi à la barre, décrit son « bébé d’amour » comme « un ange », « une fille très gentille, toujours souriante », mais qui garde tout pour elle. À 12 ans, en colo, elle monte sur un toit dans le but d’en sauter. « J’ai toujours eu un mal-être en moi », analyse-t-elle aujourd’hui. À 18 ans, elle se libère de sa mère et travaille dans un institut de beauté, quitte à décevoir ses parents qui rêvaient de la voir faire des études.

Elle était aveuglée par l’amour, elle n’avait d’yeux que pour lui !Une amie de Céline Vasselin

À 21 ans, elle tombe sous le charme d’un « prince charmant fauché » (selon l’expression d’un expert psychologue), Sliman Amara, de 14 ans son aîné. Il lui fait la cour, l’appelle « ma puce », la couvre de cadeaux lors de cette première année « magique » où elle se sent « femme ». Mais très vite, la première crise arrive : l’alcool, les insultes, les verres qui volent…

Une amie d’enfance raconte, à la barre, une dispute à laquelle elle a assisté, au début de leur relation, pendant laquelle Sliman, visiblement ivre, aurait tout fait pour l’empêcher de sortir : « Ce n’était plus le même homme, comme s’il avait un dédoublement de personnalité, il hurlait dans la cage d’escalier, Céline avait peur. » Cette amie, qui a subi des violences conjugales, lui conseille de déposer une main courante. Mais Céline ne l’écoute pas, elle ne sort plus qu’en présence de Sliman. « Elle était aveuglée par l’amour, elle n’avait d’yeux que pour lui ! » assure cette amie.

C’est moi le père, c’est moi l’autorité du père !

En 2015 naît M., leur fils. Un enfant de 8 ans et demi, aujourd’hui placé dans une famille d’accueil et qui n’a pas vu sa mère depuis un an. Céline l’allaite jusqu’à ses 13 mois, et se plaint aujourd’hui du manque d’aide de son compagnon, qui « s’impliquera plus tard » avec l’enfant. Sliman Amara, déjà père d’une première fille (partie civile), ne reconnaît pas son fils.

« Sliman se mettait vite en colère, il ne supportait pas que M. pleure », raconte la principale accusée. Son compagnon l’aurait giflé quand il avait 10 mois. Ensuite, l’enfant se mettra aussi à taper sa mère. Vers 2 ans, il se met souvent en colère, crie et la frappe. Une violence qu’il dirige uniquement vers Céline, qui s’avoue, à l’époque, « complètement dépassée ». « Quand il s’énervait, M. donnait des coups de pied et de poing à sa mère », confirme Jacques Vasselin, qui précisera que Sliman Amara « laissait faire », sans rien dire.

Violences intrafamiliales

Les derniers mois précédant le crime, le père s’en serait davantage pris à l’enfant. « Il prenait une bouteille d’eau, la versait sur M., il était tout trempé…, raconte sa mère. Il lui disait : “T’es qu’un sale bâtard, fils de pute !” Je lui disais d’arrêter, mais il me répondait : “C’est moi le père, c’est moi l’autorité du père !” avec le poing serré. J’avais peur… » Des violences sur l’enfant qui n’ont pas été confirmées par Josette, la grand-mère, qui a pourtant vécu sous le même toit que sa fille et son gendre pendant quatre ans, relève une avocate de la partie civile.

À LIRE AUSSI Procès des « démembreuses » de Rouen : « Je me sentais vraiment en danger de mort » Céline a de nouveaux des idées suicidaires. Quelques mois avant les faits, sur la route, elle se met à rouler de plus en plus vite : « Je voulais mourir, je voulais que ça se termine ! » Puis, elle songe à son fils et renonce. Celle qui décrit aujourd’hui un phénomène d’emprise – un terme qu’elle a découvert lors de sa thérapie en prison – fait part à Sliman de son intention de le quitter, il ne l’accepte visiblement pas. « Au printemps 2018, Céline est venue me voir, elle tremblait, pleurait, elle était tétanisée, raconte Jacques Vasselin. Elle m’a dit : “Il devient fou, il m’a tenue par les cheveux, il m’a mis un couteau sous la gorge et il a acheté un bidon d’essence !” Bidon de 20 litres d’essence que le père assure avoir retrouvé dans la maison après le crime. Sur le coup, Jacques Vasselin est prêt à aller régler ça entre « bonshommes » : « S’il faut, on va se battre ! » propose-t-il à sa fille, qui refuse. « Si tu viens, il va foutre le feu à la maison ! »

Le père ne fait donc rien, il ne lui propose pas non plus d’aller porter plainte. « J’suis un gars du bâtiment, moi… » s’excuse-t-il auprès de l’avocat général, qui titille sa culpabilité. « Vous auriez dû aller lui casser la gueule tout de suite ? » lance ce dernier. « Oui, c’est ce que j’aurais dû faire. »




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