Qualifier Mélenchon d’« aboyeur » n’est pas un délit, de « connard », si
« Aboyeur », « abruti », « usurpateur », « mec qui racle les fonds de tiroir de partout », « tribun dangereux » : ces insultes ne franchissent pas la limite de la liberté d’expression, a jugé le tribunal correctionnel de Paris devant lequel comparaissait l’acteur et réalisateur Olivier Marchal, poursuivi par Jean-Luc Mélenchon pour « injure publique », comme Le Point a pu le relater.
« Connard », en revanche, est constitutif d’une « injure publique », infraction pour laquelle le cinéaste – ancien policier de la brigade criminelle – a été condamné le 19 septembre, dans ce procès, à une amende de 1 000 euros avec sursis et au paiement au leader de La France insoumise d’un euro symbolique, au titre des dommages et intérêts.
Nous avons pu consulter le jugement que la 17e chambre (spécialisée dans les affaires de presse) a rendu dans cette affaire, il est intéressant à plus d’un titre. Il confirme, d’abord, ce que la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de soutenir : les propos tenus dans un contexte de « débat politique » bénéficient d’une protection très large, la liberté d’expression ne pouvant connaître « d’ingérences ou de restrictions que pour des motifs impérieux ».
En droit, toute insulte ne relève pas de l’injure
Le tribunal qui avait à juger Olivier Marchal ne le dit pas dans les mêmes termes mais s’aligne sur cette position libérale. « Le juge se doit d’exercer un contrôle de proportionnalité entre l’atteinte portée à la réputation ou au droit d’autrui et l’atteinte susceptible d’être portée à la liberté d’expression […]. Une expression ne sera constitutive d’injure que si elle excède les limites de la liberté d’expression », commence-t-il par rappeler. Les propos litigieux d’Olivier Marchal avaient été tenus le 4 mai 2022 dans une vidéo diffusée sur le site de Télé-Loisirs, sous la forme d’une interview menée par l’animateur Jordan De Luxe. L’ancien « flic » réagissait à une séquence dans laquelle Jean-Luc Mélenchon s’en était pris quelques mois plus tôt à un policier de la brigade anticriminalité, instruisant sur le plateau de Cyril Hanouna le procès des violences policières, allant jusqu’à promettre la révocation de son interlocuteur, s’il devait être élu président de la République.
« Ce que ce mec dit sur les flics, ce n’est pas possible », avait réagi le réalisateur de 36 Quai des Orfèvres avant de rhabiller pour l’hiver le leader d’extrême gauche, déversant sur lui une bordée d’insultes.
Mais en droit, toutes les insultes ne relèvent pas de l’injure, comme le rappelle cette affaire. La loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 définit le délit d’injure publique [puni d’une amende] comme « toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait [contrairement à la diffamation] ». « Une expression outrageante porte atteinte à l’honneur ou la délicatesse ; un terme de mépris cherche à rabaisser l’intéressé ; une invective prend une forme violente ou grossière », décortiquent les juges, qui ajoutent : « L’appréciation du caractère injurieux du propos doit être effectuée en fonction du contexte, de manière objective, sans prendre en considération la perception personnelle de la personne visée. »
Et c’est là que les choses deviennent intéressantes. Les propos peu amènes tenus par Olivier Marchal « prennent place dans un contexte politique caractérisé par l’imminence du second tour de l’élection présidentielle qui se déroulait le 24 avril 2022, soit au cœur d’une campagne électorale », rappelle le tribunal. Voilà pour le contexte.
La personnalité du plaignant est également prise en compte : « Il est notoire que Jean-Luc Mélenchon, éliminé au premier tour, avait mené une campagne souvent impétueuse, émaillée de propos véhéments contre certaines institutions et particulièrement critiques envers la police », relèvent les juges.
Ils ne vont pas jusqu’à considérer que les propos d’Olivier Marchal constituaient une sorte de « réponse du berger à la bergère » mais on s’en approche. « C’est dans ce contexte du débat politique et des prises de position de Jean-Luc Mélenchon que s’inscrivent les propos d’Olivier Marchal », indique le jugement.
Les personnalités politiques doivent faire preuve d’une plus grande tolérance vis-à-vis de la critique (le tribunal)
« Espèce de tribun dangereux » n’est, certes, pas une amabilité mais ne constitue pas pour autant une injure au sens où le droit l’entend, plutôt « une opinion sur le caractère démagogique des propositions du personnage [Mélenchon] et son autoritarisme ». De même, le qualificatif d’« usurpateur » exprime la volonté de dépeindre un homme politique « prêt à manipuler l’opinion aux fins de conquérir un pouvoir qui est indigne », ce qui relève là encore d’une opinion politique. Pas davantage, « “aboyeur” n’assimile pas Jean-Luc Mélenchon à un animal, comme le soutient la partie civile, mais vient critiquer, dans une expression de mépris, l’attitude consistant à exciter le peuple à la révolte par la vocifération d’un discours trompeur. Ces propos, s’ils sont dénigrants, s’inscrivent dans une critique du comportement [du plaignant] », poursuivent les magistrats. Qui soulignent : « Il sera rappelé à cet égard que les personnalités politiques s’exposent inévitablement et consciemment à un contrôle attentif de leurs faits et gestes par la masse des citoyens. Ils doivent, de ce fait, faire preuve d’une plus grande tolérance vis-à-vis de la critique. »
Conclusion : « aboyeur », « usurpateur », « tribun dangereux », s’ils constituent « des jugements de valeur vifs, ne dépassent pas [pour autant] les limites admissibles du droit à la liberté d’expression », dans ce contexte particulier. Olivier Marchal est donc relaxé, pour ces propos effectivement très « vifs ».
En revanche, il est condamné – certes, d’une peine symbolique – pour avoir traité sa bête noire de « connard ». « Ce terme ne se situe pas dans la réprobation des positions exprimées [sur la police] par la partie civile [Mélenchon], ni même dans le registre critique de sa stratégie et de son comportement politique, mais ne renferme que l’expression gratuite et grossière de son mépris, condamne le tribunal. Cette attaque purement personnelle dépasse ce que Jean-Luc Mélenchon doit accepter de supporter au nom de son engagement. L’émotion ressentie par Olivier Marchal, au regard de ses engagements pour la défense du corps policier, ne saurait justifier pareille réaction […]. Si les opinions exprimées par Jean-Luc Mélenchon peuvent justifier une réaction critique, y compris dans des termes vifs, elles n’autorisent pas un propos tel que celui-ci [« connard »], étranger à un débat d’intérêt général mais constitutif, à l’inverse, d’une attaque purement personnelle, exprimée sur un ton empreint d’agressivité dans le seul but de dégrader l’image de la victime ». L’infraction d’injure est ici constituée.
Olivier Marchal ne fera pas appel de sa condamnation
« Il n’existe pas d’impunité à insulter les hommes politiques, malgré le contexte ambiant, les tentations et les dérapages des uns et des autres », s’était félicité lors du délibéré l’avocat de Jean-Luc Mélenchon. Me Mathieu Davy y voyait « une décision d’apaisement dans l’expression publique de notre société démocratique ».
On reconnaît les bonnes décisions au fait qu’elles satisfont les deux parties. Me Pascal Garbarini, avocat d’Olivier Marchal, se félicite, lui aussi, de cette décision. « J’aurais préféré une relaxe totale mais quatre propos sur cinq sont écartés de la poursuite. Le tribunal souligne la responsabilité des hommes politiques, dans leurs discours. Le tribunal rappelle que compte tenu de leur affichage, ils peuvent s’attendre à des répliques cinglantes, la justice faisant preuve d’une plus grande tolérance à l’égard des critiques qu’ils reçoivent. Ce rappel est essentiel et salutaire », estime Me Garbarini, qui ne fera pas appel.