Silicon Valley Bank, ou l’histoire d’une débâcle vertigineuse


« Quand vous créez une start-up aux Etats-Unis, vous ne vous posez pas la question de la banque où ouvrir un compte. C’est forcément Silicon Valley Bank ». La citation n’est pas extraite d’une affiche publicitaire : c’est Alexandre Lebrun, ancien patron du laboratoire d’IA de Facebook à Paris et lui-même créateur de deux start-up américaines, qui résume ainsi la place de SVB, banque méconnue du grand public mais centrale dans l’écosystème tech américain.

En quelques jours, la petite banque californienne a vu s’écrouler un monde patiemment bâti depuis plusieurs décennies. Vendredi, les autorités fédérales américaines ont même pris le contrôle de l’établissement bancaire de Santa Clara, après la chute vertigineuse de son cours de Bourse. L’objectif : gérer la panique chez les investisseurs et ses clients, alarmés par sa quête de nouveaux fonds et ses fragilités.

De Beyond Meat à Shopify

Créée il y a quarante ans et cotée au Nasdaq, SVB Financial propose des services classiques de banque commerciale (dépôts, prêts…) avec Silicon Valley Bank, et des services connexes via trois autres activités : Capital, Private et Securities. Elle a ainsi soutenu près de la moitié des start-up américaines financées par capital-risque ayant été cotées en Bourse l’an dernier, selon l’une de ses présentations.

Avec à son bilan quelque 210 milliards d’actifs, SVB finance tout à la fois les entreprises naissantes de la Silicon Valley – elle met en avant Beyond Meat ou Shopify – mais aussi l’écosystème financier du secteur – par exemple le fonds Andreessen Horowitz. L’une de ses filiales, SVB Securities, a aussi acheté fin 2021 MoffettNathanson, une société d’analyse financière en pointe sur la tech.

La banque s’est historiquement développée en Californie, mais elle a essaimé aux Etats-Unis, notamment autour de Boston pour financer les entreprises de biotech. Et la débâcle n’a pas manqué de secouer aussi l’écosystème européen. Implanté au Royaume-Uni depuis 18 ans, SVB y a développé toute la gamme de produits financiers dédiés aux start-up, de la trésorerie à la « venture debt », ce financement entre la dette et le capital.

Au point qu’elle financerait selon les estimations jusqu’à la moitié du venture britannique, comme aux Etats-Unis. Parmi ses clients, elle compterait Snyk, Graphcore, Wise ou les plus gros capital-risqueurs du continent, comme Atomico, Index et Accel.

Croissance en Europe

A l’automne dernier, la banque a même décidé d’intégrer complètement son entité londonienne, en raison de sa croissance. « SVB a enregistré une solide croissance ces cinq dernières années, avec 650 employés au Royaume-Uni et en EMEA, dont l’Allemagne et le Danemark où des bureaux ont été ouverts en 2018 et 2019. La filialisation de notre antenne britannique est l’aboutissement de ce développement et reflète le succès de la banque et de notre engagement auprès des clients britanniques et d’Europe », se vantait alors le groupe.

Mais vendredi, sa filiale britannique SVB UK avait brusquement changé de narratif. Dans un communiqué, elle a expliqué être devenue « une filiale indépendante » depuis août dernier, « avec un bilan séparé de SVB Financial Group et un conseil d’administration indépendant ».

Pas de quoi rassurer complètement, cependant, les fonds européens et les start-up. « Un quart de notre portefeuille a des relations bancaires avec SVB et je dirais que 70 % à 80 % ce matin élaboraient des plans pour transférer leurs fonds vers Wise, Brex, etc. », déclarait vendredi un capital-risqueur de Berlin au media Sifted.

Boom des effectifs

Selon ses comptes 2022, le groupe SVB comptait 10 milliards de dollars de prêts auprès de clients internationaux (soit 14 % de ses prêts), 41 milliards de dollars de dépôts (soit 11 % du total) et générait 12 % de ses commissions (soit 145 millions de dollars) en Grande-Bretagne, en Europe, au Canada, en Asie ainsi qu’en Israël.

Après le Royaume-Uni, ce marché est l’un de ses plus anciens terrains de jeu. Elle a pris pied en Israël, l’un des écosystèmes tech les plus actifs derrière les Etats-Unis, il y a quatorze ans, et selon les médias locaux, elle y finance aussi des centaines de start-up. Là aussi, les investisseurs les poussent à retirer leur argent de la banque. « La banque suscite l’incertitude et les sociétés recherchent une solution », déclarait un investisseur dans le journal financier israélien « Globes ».

Boom des effectifs

En janvier, lors de la présentation de ses résultats annuels, le PDG Greg Becker, un vétéran du groupe avec trente années de présence dont douze à sa tête, se félicitait ainsi d’avoir recruté 1.600 nouveaux clients au dernier trimestre, un rythme supérieur à celui de l’avant-Covid.

Et SVB embauchait à tour de bras, comme la tech les années précédentes et malgré le changement d’environnement. Le groupe, qui comptait 8.500 salariés à la fin 2022, a ainsi enregistré un bond du nombre d’employés de… 30 % en un an. Dans un environnement plus compliqué l’an dernier, son résultat net a en revanche chuté de 15 % en 2022, à 1,5 milliard de dollars.

SVB n’a pas pris racine en France, mais chez les fonds de tech vendredi, la prudence était aussi de mise. « Nous avons fait une revue de notre portefeuille et demandé à l’ensemble de nos start-up de vérifier leur exposition à la banque dès l’annonce », indique Jean-Marc Patouillaud, managing partner de Partech. « Quelques-unes les ont en partenaire bancaire et ont pu retirer leurs fonds, d’autres essaient en partie. En France, les start-up se sont plutôt tournées vers des partenaires plus classiques ».

Même réaction de Claire Houry, general partner de Ventech : « Cela crée de l’instabilité. Nous avons opéré une revue de nos quarante sociétés en portefeuille, seule une avait une exposition sur un dépôt liée à une acquisition aux Etats-Unis ».



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