Un financier qui se rêvait gérant de hedge funds, poursuivi pour manipulation de cours et blanchiment


Publié le 21 avr. 2023 à 17:22

Depuis toujours, Thierry Boutin se rêvait gérant de hedge funds pour compte de tiers. Mais il a été rattrapé par la réalité. Elle l’a conduit devant le tribunal judiciaire de Paris, où s’est tenu son procès mercredi et jeudi. Il est jugé pour manipulation de cours sur l’action Dolphin et pour blanchiment.

Que s’est-il passé ? En avril 2017, ce financier qui se targue de bien connaître les marchés  recommande à David Gerbier, fondateur du cinquième distributeur automobile français, à des membres de la famille et à des connaissances professionnelles, d’acheter des titres Dolphin. Cette société spécialisée dans les semi-conducteurs, dont il détient lui-même 14 %, est une petite valeur au flottant peu fourni.  En 9 mois, le « clan » Gerbier achète 163.000 titres. Pendant ce temps, Thierry Boutin, lui, cède l’intégralité de ses actions.

Il empoche une plus-value de 2,6 millions d’euros. Huit mois plus tard, le « clan » Gerbier, lui, perd la totalité de sa mise. Les actifs de Dolphin, en cessation de paiements, sont vendus à la barre du Tribunal de commerce, à un prix qui ne permet pas aux actionnaires de récupérer leur argent.

Thierry Boutin est poursuivi devant le tribunal correctionnel pour avoir artificiellement gonflé la valeur du titre entre avril 2017 et janvier 2018. Le PNF l’accuse d’avoir entretenu une confusion sur sa qualité de conseiller en investissement financier, alors qu’il ne l’était pas, émis des recommandations massives d’achat, basées sur des informations mensongères. Et ce, pour céder des titres à bon prix. Par la suite, Thierry Boutin a transféré l’argent de sa plus-value d’un compte titres anglais à un compte bancaire suisse. Pour l’accusation, il y a eu blanchiment, cet argent provenant d’opérations frauduleuses.

Trois ans et demi de prison ferme requis

Thierry Boutin risque gros. Ce résident suisse, domicilié fiscalement à Dubaï, a déjà été condamné deux fois par la justice pénale : en 2008, pour utilisation d’informations privilégiées et en 2010, pour escroquerie. Il a écopé de peines de prison avec sursis. Par trois fois, aussi, il a été sanctionné par l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) en 2007 et 2008, pour diffusion d’information trompeuse et manquement d’initiés . Ces condamnations sont toutes définitives : les pourvois en cassation de Thierry Boutin ont été rejetés. Il doit au Trésor Public 2,2 millions d’euros d’amendes qu’il n’a jamais payées.

Le PNF a requis une peine de prison ferme de 24 mois avec une révocation des 18 mois de sursis prononcés en 2014 par la cour d’appel dans une autre affaire. Cela porte la demande de peine de prison à trois ans et demi ferme. Il veut aussi une confiscation des 2,6 millions d’euros saisis sur le compte anglais de Thierry Boutin et une amende égale au moins à cette plus-value. Enfin, il a demandé un mandat de dépôt.

L’AMF s’est portée partie civile. Un droit dont elle use rarement. Elle s’estime victime de la manipulation de cours (l’infraction a nui à au bon fonctionnement des marchés), et a demandé le versement d’un euro symbolique. Selon elle, Thierry Boutin doit aussi lui rembourser ses frais d’enquête, soit 99.064 euros. L’AMF aurait pu faire juger cette affaire par sa commission des sanctions. Mais les peines de prison que peut prononcer le juge pénal sont plus dissuasives que de simples amendes.

Technique de la bouilloire

Selon l’accusation, le prévenu aurait opéré, à quatre reprises, selon un mode opératoire répétitif, le « pump and dump », ou technique de la bouilloire. Il achetait des titres, ce qui faisait monter le cours. Puis il envoyait des courriels au « clan » Gerbier leur recommandant vivement d’acheter des actions en leur donnant des informations positives sur Dolphin fausses et trompeuses, comme une OPA possible de la part d’un fonds souverain chinois ou d’un groupe industriel. Il vendait, ensuite, une partie de ses propres titres.

Thierry Boutin réfute toute manipulation. Il explique qu’il ne s’est jamais présenté au « clan » Gerbier comme gestionnaire de fortune et ne pensait pas que ces personnes investiraient autant. Dès lors, défend-il, il n’est pas responsable de leurs achats massifs et irraisonnés. Ce sont ces derniers qui auraient provoqué une forte hausse du cours de Dolphin. S’il a vendu des titres quand le « clan » Gerbier en achetait, c’était seulement pour assurer la liquidité et permettre une cotation du titre. Son but, selon lui, était d’aider Dolphin à être mieux valorisé.

Moins-value

Enfin, il conteste la plus-value. Il estime avoir perdu 350.000 euros. Son prix d’achat moyen serait bien plus élevé que celui retenu par l’AMF qui n’a pas tenu compte de son coût de financement.

« Mon problème, c’est d’avoir commis des erreurs en 2004 et 2005. L’AMF me diabolise. Elle m’a condamné par le passé et je n’ai pas réglé mes amendes », a-t-il déclaré au juge. « Pourquoi ne pas les avoir payées ? », lui a demandé le juge. « Ces condamnations n’ont été définitives qu’en 2010 et 2014. Après des investissements dans des PME qui ont été liquidées, j’étais sans ressources », a-t-il expliqué.

L’avocat de Thierry Boutin, Jérémy Kalfon, a, lui, estimé que la peine requise était d’une grande sévérité. Son client a changé de mode de vie, a-t-il souligné, avant de demander la relaxe. Le tribunal rendra sa décision le 25 mai.



Lien des sources