Ventes à perte : « cela risque de provoquer des faillites » prévient l’économiste Mathieu Plane

Publié le 19 sept. 2023 à 7:19
La Première ministre a annoncé ce week-end « qu’à titre exceptionnel sur le carburant et sur une période limitée de quelques mois », le gouvernement va lever l’interdiction de vente à perte en place depuis 1963. C’est donc une mesure économique extraordinaire que s’apprêtent à vivre les distributeurs comme les stations-service. Le spécialiste des politiques publiques Mathieu Plane à l’Observatoire français des conjonctures économiques livre sa première réaction.
Comprenez-vous la décision du gouvernement d’actionner le levier des ventes à perte ?
C’est une réponse politique à un sujet brûlant. Le retour de l’inflation depuis deux ans a eu un effet massif sur les produits du quotidien et le pouvoir d’achat. En 2022, nous avons connu une flambée des prix de l’énergie, puis sur l’alimentation et voici que les prix des carburants repartent à la hausse . C’est un sujet qui a provoqué historiquement des tensions sociales avec les « gilets jaunes », on comprend que le gouvernement soit très attentif. Le litre d’essence à 2 euros, ça fait peur.
Sauf qu’il a très peu de leviers pour réagir. L’an dernier, la fiscalité a été mobilisée pour limiter les prix à la pompe mais chaque centime d’euros coûte 600 millions annuels aux finances publiques. Le gouvernement a plus récemment utilisé la menace fiscale contre le secteur agroalimentaire pour limiter la hausse des marges de l’industrie alimentaire mais ça a peu fonctionné. C’est pourquoi il ouvre une nouvelle piste.
Vous pensez que cette mesure peut fonctionner ?
On devrait voir un effet beaucoup plus rapide. La grande distribution va probablement se lancer dans une guerre commerciale pour récupérer des clients. Ceux qui ont les reins solides devraient y voir un effet commercial fort. Certains peuvent choisir de compenser les pertes sur le carburant par une hausse sur d’autres rayons et d’autres décideront même d’accepter une pure perte pour augmenter leur clientèle à plus long terme.
C’est une bonne nouvelle pour le consommateur donc ?
Cette mesure est au bénéfice du consommateur à court terme, oui, mais elle générera de la concurrence déloyale. Les ventes à pertes ont justement été interdites contre les situations de monopole ou pour empêcher les gros acteurs d’éliminer les petits. Or six mois, c’est long et encaisser quelques centimes d’euros de perte par litre aussi longtemps risque de provoquer des faillites chez les plus faibles. Les stations-service indépendantes ou les supermarchés fragiles pourraient ne pas s’en relever. Les consommateurs pourraient aussi subir des hausses de prix aux rayons alimentaires, cela déplacerait le problème. Sans compter que ceux qui en sortiraient plus forts pourraient, à l’issue des six mois, compenser le manque à gagner par une hausse plus forte encore du carburant.
C’est une réponse politique mais une erreur économique ?
L’utilisation du recours à la vente à perte me paraît une réponse de court terme à un problème de long terme. Car même si cette mesure fonctionne, qu’allons-nous faire dans six mois ? Ce n’est pas la même situation qu’au début du conflit en Ukraine, quand tous les gouvernements déployaient des mesures d’urgence face à la forte inconnue. Nous sommes entrés dans un nouveau monde, les prix élevés de l’énergie sont potentiellement plus structurels.
Pensez-vous que cette approche des ventes à perte pourrait être étendue à d’autres produits comme l’alimentation ?
Je n’y crois pas. La tendance était au contraire à dissuader la concurrence déloyale comme l’a fait la loi Egalim.