les confidences de Mgr Ravel, archevêque démissionnaire de Strasbourg



Trois semaines après sa démission réclamée depuis de longs mois par Rome, Mgr Luc Ravel, l’archevêque de Strasbourg, revient sur l’enquête apostolique qui a conduit au terme de son épiscopat en Alsace, fin avril, et donne sa version des faits dans un entretien accordé à La Vieet paru lundi 22 mai.

Sortant du silence, le cœur désormais « suffisamment en paix », il évoque les questions de gouvernance ou encore sa gestion des abus sexuels au sein de l’Église. « Je reconnais que je me suis fait déborder par toutes ces affaires d’abus sexuels, qui m’ont pris un temps infini », a-t-il expliqué à l’hebdomadaire catholique.

Depuis le 23 juin 2022, Mgr Luc Ravel était soumis à une enquête apostolique lancée par le pape François, dont les conclusions n’ont pas été dévoilées et à laquelle « il ne s’attendait pas du tout ». On lui reprochait alors selon plusieurs sources interrogées par La Croix, sa gestion des affaires courantes, « autoritaire » et « solitaire », de la vie du diocèse.

Il admet aujourd’hui avoir pêché soit par « inconscience » soit par « illusion ». « De l’illusion, parce que je croyais que cela allait bien, de l’inconscience, parce que je n’ai peut-être pas su écouter les signaux faibles », reconnaît-il auprès de La Vie. Il finit par démissionner, sous pression selon certains, le 18 avril dernier, six ans après son arrivée et trois mois après que le pape lui a demandé de démissionner.

« Vous en faites trop »

Dans l’entretien accordé à La Vie, l’ancien évêque aux armées confirme que le fond du problème était sa gouvernance. « C’est la raison pour laquelle le pape demande ma démission, explique-t-il, en particulier, cette difficulté que j’aurais avec des prêtres, qui sont terrorisés par ma façon de traiter les abus.« Vous en faites trop », lui aurait dit le cardinal Ouellet, préfet du Dicastère pour les évêques de 2010 à 2023, lors d’une rencontre en novembre 2022.

Dès son arrivée à Strasbourg, en 2017, Mgr Luc Ravel s’était engagé dans la traque des agresseurs sexuels, signant une longue lettre pastorale intitulée Mieux vaut tard. Un engagement renforcé depuis la publication du rapport Sauvé, en octobre 2021. L’archevêque reconnaît s’être laissé déborder et « décaper par la douleur et le mystère du mal ». « Le contact direct avec les personnes victimes m’a érodé », estime-t-il, assurant en avoir rencontré « des dizaines et des dizaines ».

Cependant, il ne regrette « rien ». « C’est ce que j’ai fait, c’est ce que j’ai senti dans mon cœur », confie-t-il, jugeant qu’il aurait aimé bénéficier d’un accompagnement « psychologique ». « Outre le temps physique, cela prend un temps intérieur que je n’imaginais pas (…). C’est énorme et incompressible. C’était peut-être trop pour moi », reconnaît-il. Il appelle à une « conversion » structurelle pour « penser d’abord aux victimes ».

Dans ce cadre, le prélat comprend qu’on puisse lui reprocher son style et ne « conteste aucune maladresse ». « Je n’ai aucune prétention à l’infaillibilité », ajoute-t-il, tout en affirmant n’avoir jamais pris de décision sans demander conseil. « Pas forcément mes conseils diocésains, mais des conseils personnels : avocats, médecins… », raconte-t-il. « Il est rare que les torts soient tous du même côté », note-t-il toutefois, comparant la situation à un « divorce ».

Liberté de conscience

Interrogé quant au long délai entre sa démission – qui selon les informations de La Croix lui aurait été suggérée par le cardinal Ouellet fin octobre 2023 (puis formellement en février par une lettre du pape en février 2023) – et sa renonciation mi-avril, l’ancien chanoine régulier de Saint-Victor invoque une « démission qui devait être un acte pleinement libre, en conscience » et la nécessité de « conclure des dossiers qui venaient d’apparaître ».

« Je préférais le faire quand j’en avais les moyens, plutôt que de regretter toute ma vie de ne pas avoir pris certaines décisions, concernant par exemple de proches collaborateurs », justifie-t-il à ce propos.

« Soit c’est une démission forcée, et je suis obligé de parler de harcèlement. Soit c’est une démission qui se fait dans la liberté de conscience, et à ce moment-là, c’est à moi de fixer la date quand j’estime que les temps sont mûrs », explique l’archevêque démissionnaire.

La suite ? « Fidèle à l’Église catholique », il aimerait être un « évêque libre, débarrassé de toutes ces réunions et qui pourrait accompagner les personnes qui le demandent », avec une présence dans le milieu intellectuel et du temps pour écrire.



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