une guerre, deux visions du monde


Deux discours, prononcés mardi 21 février à quelques heures d’intervalle, ont replongé l’Europe cinquante ans en arrière, dans l’atmosphère de la guerre froide. Celui du président russe, Vladimir Poutine, d’abord, le matin à Moscou, accusant l’Occident de tous les maux avant d’annoncer la suspension de la participation de la Russie à New Start, le dernier traité russo-américain de contrôle des armements nucléaires. Celui du président américain, Joe Biden, ensuite, au pied du château royal de Varsovie, vantant l’unité de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) face à « un dictateur déterminé à reconstruire un empire ».

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Mais la guerre froide avait ses codes, ses règles et deux superpuissances qui les appliquaient. Elle était régie par un ordre international. Aujourd’hui, c’est sur fond d’une guerre brûlante, en Ukraine, en Europe, que s’affrontent à distance les présidents russe et américain. Une guerre meurtrière et dévastatrice, déclenchée il y a un an, le 24 février 2022, par le leader d’une puissance nucléaire membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, en violation de toutes les règles du droit international.

Cette guerre, Vladimir Poutine l’avait lancée dès 2014 en annexant la Crimée puis en entretenant un conflit de basse intensité dans l’est de l’Ukraine pour la simple raison que ce pays indépendant, auquel il nie toute identité nationale, voulait se rapprocher de l’Union européenne. Dans une adresse à la nation aux accents soviétiques, le chef du Kremlin a déroulé son argumentaire paranoïaque selon lequel c’est l’Occident qui a déclenché le conflit. Cet Occident tente de « transformer l’Ukraine en une anti-Russie » et veut « en finir une fois pour toutes avec [eux] ».

Un trait commun aux deux discours

Regonflé par sa visite surprise à Kiev la veille, Joe Biden s’est posé, lui, en défenseur du monde libre. De fait, ce sont bien deux visions du monde qui se sont affrontées mardi, symbolisées par des mises en scène à l’opposé l’une de l’autre. M. Poutine s’est exprimé pendant près de deux heures devant un parterre de dignitaires figés, tenus à bonne distance de son podium ; M. Biden a choisi la foule rassemblée en plein air, s’est mêlé aux enfants et a rendu un chaleureux hommage à la Pologne qui l’accueillait. La présence à la tribune de la présidente moldave, Maia Sandu, n’aura sans doute pas échappé aux observateurs à Moscou : non-membre de l’OTAN, la petite république subit actuellement une forte pression de la Russie.

Il y a néanmoins un trait commun aux deux discours : la détermination. Les présidents russe et américain ont voulu montrer qu’ils étaient prêts à faire face à un conflit prolongé en Ukraine, même si, en dépit de la rhétorique, l’un et l’autre restent attentifs à une escalade mesurée. M. Biden n’a pas renouvelé son souhait de voir M. Poutine quitter le pouvoir, formulé dans son précédent discours à Varsovie en 2022, et le retrait de la Russie d’un régime de contrôle des armes nucléaires déjà moribond ne change pas fondamentalement la situation.

Cette situation, cependant, se trouve aujourd’hui compliquée par le facteur chinois et la possibilité du soutien de Pékin à Moscou. Pour n’avoir pas voulu voir à temps la vraie nature des ambitions impériales de Vladimir Poutine, les pays occidentaux se trouvent aujourd’hui tenus d’accompagner militairement l’Ukraine jusqu’à la victoire. Unis, certes, mais confrontés à un monde très fragmenté. C’est un scénario qu’ils n’avaient pas prévu en sortant de la guerre froide.

Le Monde



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